la cheminée, en travers, deux hommes étaient étendus à terre, sur le dos, les bras en croix, immobiles. Un troisième gisait au milieu de la pièce.
A droite, dans le fond, sur les premières marches d'un escalier conduisant à l'étage supérieur, une femme était accroupie. Elle avait relevé son tablier sur sa tête, et poussait des gémissements inarticulés.
En face, dans le cadre d'une porte de communication grande ouverte, un homme se tenait debout, roide et blême, ayant devant lui, comme un rempart, une lourde table de chêne.
Il était d'un certain age, de taille moyenne, et portait toute sa barbe.
Son costume, qui était celui des déchargeurs de bateaux du quai de la Gare, était en lambeaux et tout souillé de boue, de vin et de sang.
Celui-là certainement était le meurtrier.
L'expression de son visage était atroce. La folie furieuse flamboyait dans ses yeux, et un ricanement convulsif contractait ses traits. Il avait au cou et à la joue deux blessures qui saignaient abondamment.
De sa main droite, enveloppée d'un mouchoir à carreaux, il tenait un revolver à cinq coups, dont il dirigeait le canon vers les agents.
--Rends-toi!... lui cria Gévrol.
Les lèvres de l'homme remuèrent; mais, en dépit d'un visible effort, il ne put articuler une syllabe.
--Ne fais pas le malin, continua l'inspecteur de la s?reté, nous sommes en force, tu es pincé; ainsi, bas les armes!...
--Je suis innocent, pronon?a l'homme d'une voix rauque.
--Naturellement, mais cela ne nous regarde pas.
--J'ai été attaqué, demandez plut?t à cette vieille; je me suis défendu, j'ai tué, j'étais dans mon droit!
Le geste dont il appuya ces paroles était si mena?ant, qu'un des agents, resté à demi dehors, attira violemment Gévrol à lui, en disant:
--Gare, Général! méfiez-vous!... Le revolver du gredin a cinq coups et nous n'en avons entendu que deux.
Mais l'inspecteur de la S?reté, inaccessible à la crainte, repoussa son surbordonné et s'avan?a de nouveau, en poursuivant du ton le plus calme:
--Pas de bêtises, mon gars, crois-moi, si ton affaire est bonne, ce qui est possible, après tout, ne la gate pas.
Une effrayante indécision se lut sur les traits de l'homme. Il tenait au bout du doigt la vie de Gévrol; allait-il presser la détente?
Non. Il lan?a violemment son arme à terre en disant:
--Venez donc me prendre!
Et se retournant, il se ramassa sur lui-même, pour s'élancer dans la pièce voisine, pour fuir par quelque issue connue de lui.
Gévrol avait deviné ce mouvement. Il bondit en avant, lui aussi, les bras étendus, mais la table l'arrêta.
--Ah!... cria-t-il, le misérable nous échappe.
Déjà le sort du misérable était fixé.
Tandis que Gévrol parlementait, un des agents--celui de la fenêtre--avait tourné la maison et y avait pénétré par la porte de derrière.
Quand le meurtrier prit son élan, il se précipita sur lui, il l'empoigna à la ceinture, et avec une vigueur et une adresse surprenantes, le repoussa.
L'homme voulut se débattre, résister; en vain. Il avait perdu l'équilibre, il chancela et bascula par-dessus la table qui l'avait protégé, en murmurant assez haut pour que tout le monde p?t l'entendre:
--Perdu! C'est les Prussiens qui arrivent.
Cette simple et décisive manoeuvre, qui assurait la victoire, devait enchanter l'inspecteur de la S?reté.
--Bien, mon gar?on, dit-il à son agent, très bien!... Ah! tu as la vocation, toi, et tu iras loin, si jamais une occasion...
Il s'interrompit. Tous les siens partageaient si manifestement son enthousiasme que la jalousie le saisit. Il vit son prestige diminué et se hata d'ajouter:
--Ton idée m'était venue, mais je ne pouvais la communiquer sans donner l'éveil au gredin.
Ce correctif était superflu. Les agents ne s'occupaient plus que du meurtrier. Ils l'avaient entouré, et après lui avoir attaché les pieds et les mains, ils le liaient étroitement sur une chaise.
Lui se laissait faire. A son exaltation furieuse se avait succédé cette morne prostration qui suit tous les efforts exorbitants. Ses traits n'exprimaient plus qu'une farouche insensibilité, l'hébétude de la bête fauve prise au piège. évidemment, il se résignait et s'abandonnait.
Dès que Gévrol vit que ses hommes avaient terminé leur besogne:
--Maintenant, commanda-t-il, inquiétons-nous des autres, et éclairez-moi, car le feu ne flambe plus guère.
C'est par les deux individus étendus en travers de la porte que l'inspecteur de la S?reté commen?a son examen.
Il interrogea le battement de leur coeur; le coeur ne battait plus.
Il tint près de leurs lèvres le verre de sa montre; le verre resta clair et brillant.
--Rien! murmura-t-il après plusieurs expériences, rien; ils sont morts. Le matin ne les a pas manqués. Laissons-les dans la position où ils sont jusqu'à l'arrivée de la justice et voyons le troisième.
Le troisième respirait encore.
C'était un tout jeune homme, portant l'uniforme de l'infanterie de ligne. Il était en petite tenue, sans armes, et sa grande capote grise entr'ouverte laissait voir sa poitrine nue.
On le souleva avec mille précautions, car il geignait pitoyablement à chaque mouvement, et on le pla?a sur son séant, le dos appuyé contre le mur.
Alors, il ouvrit
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