Mon frère Yves

Pierre Loti

Mon frère Yves

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Title: Mon frère Yves
Author: Pierre Loti
Release Date: May 20, 2006 [EBook #18427]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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Pierre Loti
MON FRèRE YVES
(1889)

Table des matières
I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII. XIX. XX. XXI. XXII. XXIII. XXIV. XXV. XXVI. XXVII. XXVIII. XXIX. XXX. XXXI. XXXII. XXXIII. XXXIV. XXXV. XXXVI. XXXVII. XXXVIII. XXXIX. XL. XLI. XLII. XLIII. XLIV. XLV. XLVI. XLVII. XLVIII. XLIX. L. LI. LII. LIII. LIV. LV. LVI. LVII. LVIII. LIX. LX. LXI. LXII. LXIII. LXIV. LXV. LXVI. LXVII. LXVIII. LXIX. LXX. LXXI. LXXII. LXXIII. LXXIV LETTRE D'YVES. LXXV. LXXVI LETTRE D'YVES. LXXVII. LXXVIII. LXXIX. LXXX. LXXXI. LXXXII. LXXXIII. LXXXIV. LXXXV. LXXXVI. LXXXVII. LXXXVIII. LXXXIX. XC. XCI. XCII. XCIII. XCIV. XCV. XCVI LETTRE D'YVES. XCVII. XCVIII. XCIX. C. CI. CII. Ses oeuvres.

I
Le livret de marin de mon frère Yves ressemble à tous les autres livrets de tous les autres marins.
Il est recouvert d'un papier parchemin de couleur jaune, et, comme il a beaucoup voyagé sur la mer, dans différents caissons de navire, il manque absolument de fra?cheur.
En grosses lettres, il y a sur la couverture:
Kermadec, 2091. P.
Kermadec, c'est son nom de famille; 2091, son numéro dans l'armée de mer, et P, la lettre initiale de Paimpol son port d'inscription.
En ouvrant, on trouve, à la première page, les indications suivantes:
?Kermadec (Yves-Marie), fils d'Yves-Marie et de Jeanne Danveoch. Né le 28 ao?t 1851, à Saint-Pol-de-Léon (Finistère). Taille, 1 m 80. Cheveux chatains, sourcils chatains, yeux chatains, nez moyen, menton ordinaire, front ordinaire, visage ovale.?
?Marques particulières: tatoué au sein gauche d'une ancre et, au poignet droit, d'un bracelet avec un poisson.?
Ces tatouages étaient encore de mode, il y a une dizaine d'années, pour les vrais marins. Exécutés à bord de la Flore par la main d'un ami désoeuvré, ils sont devenus un objet de mortification pour Yves, qui s'est plus d'une fois martyrisé dans l'espoir de les faire dispara?tre.--L'idée qu'il est marqué d'une manière indélébile et qu'on le reconna?tra toujours et partout à ces petits dessins bleus lui est absolument insupportable.
En tournant la page, on trouve une série de feuillets imprimés relatant, dans un style net et concis, tous les manquements auxquels les matelots sont sujets, avec, en regard, le tarif des peines encourues,--depuis les désordres légers qui se payent par quelques nuits à la barre de fer jusqu'aux grandes rébellions qu'on punit par la mort.
Malheureusement cette lecture quotidienne n'a jamais suffi à inspirer les terreurs salutaires qu'il faudrait, ni aux marins en général, ni à mon pauvre Yves en particulier.
Viennent ensuite plusieurs pages manuscrites portant des noms de navire, avec des cachets bleus, des chiffres et des dates. Les fourriers, gens de go?t, ont orné cette partie d'élégants parafes. C'est là que sont marquées ses campagnes et détaillés les salaires qu'il a re?us.
Premières années, où il gagnait par mois quinze francs, dont il gardait dix pour sa mère; années passées la poitrine au vent, à vivre demi-nu en haut de ces grandes tiges oscillantes qui sont des mats de navire, à errer sans souci de rien au monde sur le désert changeant de la mer; années plus troublées, où l'amour naissait, prenait forme dans l'ame vierge et inculte,--puis se traduisait en ivresses brutales ou en rêves na?vement purs au hasard des lieux où le vent le poussait, au hasard des femmes jetées entre ses bras; éveils terribles du coeur et des sens, grandes révoltes, et puis retour à la vie ascétique du large, à la séquestration sur le couvent flottant; il y a tout cela sous-entendu derrière ces chiffres, ces noms et ces dates qui s'accumulent, année par année, sur un pauvre livret de marin. Tout un étrange grand poème d'aventures et de misères tient là entre les feuillets jaunis.

II
Le 28 ao?t 1851, il faisait, para?t-il, un beau temps d'été à Saint-Pol-de-Léon, dans le Finistère.
Le soleil pale de la Bretagne souriait et faisait fête à ce petit nouveau venu, qui devait plus tard tant aimer le soleil et tant aimer la Bretagne. Yves apparut dans ce monde sous la forme d'un gros bébé tout rond et tout bronzé. Les bonnes femmes présentes à son arrivée lui donnèrent le surnom de Bugel-Du, qui, en fran?ais, signifie: _petit enfant noir_. C'était, du reste, de famille, cette couleur de bronze, les Kermadec, de père en fils, ayant été marins au long cours et gens fortement passés au hale de mer.
Un beau jour d'été à Saint-Pol-de-Léon, c'est-à-dire
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