Moll Flanders | Page 8

Daniel Defoe
à fa?onner, et non seulement me payaient pour mon ouvrage, mais m'apprenaient même à le faire, de sorte que j'étais véritablement une dame de qualité, ainsi que je l'entendais; car avant d'avoir douze ans, non seulement je me suffisais en vêtements et je payais ma nourrice pour m'entretenir, mais encore je mettais de l'argent dans ma poche.
Les dames me donnaient aussi fréquemment de leurs hardes ou de celles de leurs enfants; des bas, des jupons, des habits, les unes telle chose, les autres telle autre, et ma vieille femme soignait tout cela pour moi comme une mère, m'obligeait à raccommoder, et à tourner tout au meilleur usage: car c'était une rare et excellente ménagère.
à la fin, une des dames se prit d'un tel caprice pour moi qu'elle désirait m'avoir chez elle, dans sa maison, pour un mois, dit-elle, afin d'être en compagnie de ses filles.
Vous pensez que cette invitation était excessivement aimable de sa part; toutefois, comme lui dit ma bonne femme, à moins qu'elle se décidat à me garder pour tout de bon, elle ferait à la petite dame de qualité plus de mal que de bien.--?Eh bien, dit la dame, c'est vrai; je la prendrai chez moi seulement pendant une semaine, pour voir comment mes filles et elles s'accordent, et comment son caractère me pla?t, et ensuite je vous en dirai plus long; et cependant, s'il vient personne la voir comme d'ordinaire, dites-leur seulement que vous l'avez envoyée en visite à ma maison.?
Ceci était prudemment ménagé, et j'allai faire visite à la dame, où je me plus tellement avec les jeunes demoiselles, et elles si fort avec moi, que j'eus assez à faire pour me séparer d'elles, et elles en furent aussi fachées que moi-même.
Je les quittai cependant et je vécus presque une année encore avec mon honnête vielle femme; et je commen?ais maintenant de lui être bien utile; car j'avais presque quatorze ans, j'étais grande pour mon age, et j'avais déjà l'air d'une petite femme; mais j'avais pris un tel go?t de l'air de qualité dont on vivait dans la maison de la dame, que je ne me sentais plus tant à mon aise dans mon ancien logement; et je pensais qu'il était beau d'être vraiment dame de qualité, car j'avais maintenant des notions tout à fait différentes sur les dames de qualité; et comme je pensais qu'il était beau d'être une dame de qualité, ainsi j'aimais être parmi les dames de qualité, et voilà pourquoi je désirais ardemment y retourner.
Quand j'eus environ quatorze ans et trois mois, ma bonne vieille nourrice (ma mère, je devrais l'appeler) tomba malade et mourut. Je me trouvai alors dans une triste condition, en vérité; car ainsi qu'il n'y a pas grand'peine à mettre fin à la famille d'une pauvre personne une fois qu'on les a tous emmenés au cimetière, ainsi la pauvre bonne femme étant enterrée, les enfants de la paroisse furent immédiatement enlevés par les marguilliers; l'école était finie et les externes qui y venaient n'avaient plus qu'à attendre chez eux qu'on les envoyat ailleurs; pour ce qu'elle avait laissé, une fille à elle, femme mariée, arriva et balaya tout; et, comme on emportait les meubles, on ne trouva pas autre chose à me dire que de conseiller par plaisanterie à la petite dame de qualité de s'établir maintenant à son compte, si elle le voulait.
J'étais perdue presque de frayeur, et je ne savais que faire; car j'étais pour ainsi dire mise à la porte dans l'immense monde, et, ce qui était encore pire, la vieille honnête femme avait gardé par devers elle vingt et deux shillings à moi, qui étaient tout l'état que la petite dame de qualité avait au monde; et quand je les demandai à la fille, elle me bouscula et me dit que ce n'étaient point ses affaires.
Il était vrai que la bonne pauvre femme en avait parlé à sa fille, disant que l'argent se trouvait à tel endroit, et que c'était l'argent de l'enfant, et qu'elle m'avait appelée une ou deux fois pour me le donner, mais je ne me trouvais malheureusement pas là, et lorsque je revins, elle était hors la condition de pouvoir en parler; toutefois la fille fut assez honnête ensuite pour me le donner, quoiqu'elle m'e?t d'abord à ce sujet traitée si cruellement.
Maintenant j'étais une pauvre dame de qualité, en vérité, et juste cette même nuit j'allais être jetée dans l'immense monde; car la fille avait tout emporté, et je n'avais pas tant qu'un logement pour y aller, ou un bout de pain à manger; mais il semble que quelques-uns des voisins prirent une si grande pitié de moi, qu'ils en informèrent la dame dans la famille de qui j'avais été; et immédiatement elle envoya sa servante pour me chercher; et me voilà partie avec elles, sac et bagages, et
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