tu ne puisses pas faire le travail de ménage, mais tu l'apprendras plus tard, et on ne te mettra pas au gros ouvrage tout de suite.
--Si, on m'y mettra, dis-je, et si je ne peux pas le faire, on me battra, et les servantes me battront pour me faire faire le gros ouvrage, et je ne suis qu'une petite fille, et je ne peux pas le faire!
Et je me remis à pleurer jusqu'à ne plus pouvoir parler.
Ceci émut ma bonne nourrice maternelle; si bien qu'elle résolut que je n'entrerais pas encore en condition; et elle me dit de ne pas pleurer, et qu'elle parlerait à M. le maire et que je n'entrerais en service que quand je serais plus grande.
Eh bien, ceci ne me satisfit pas; car la seule idée d'entrer en condition était pour moi une chose si terrible que si elle m'avait assuré que je n'y entrerais pas avant l'age de vingt ans, cela aurait été entièrement pareil pour moi; j'aurais pleuré tout le temps, rien qu'à l'appréhension que la chose finirait par arriver.
Quand elle vit que je n'étais pas apaisée, elle se mit en colère avec moi:
--Et que veux-tu donc de plus, dit-elle, puisque je te dis que tu n'entreras en service que quand tu seras plus grande?
--Oui, dis-je, mais il faudra tout de même que j'y entre, à la fin.
--Mais quoi, dit-elle, est-ce que cette fille est folle? Quoi, tu veux donc être une dame de qualité?
--Oui, dis-je, et je pleurai de tout mon coeur, jusqu'à éclater encore en sanglots.
Ceci fit rire la vieille demoiselle, comme vous pouvez bien penser.
--Eh bien, madame, en vérité, dit-elle, en se moquant de moi, vous voulez donc être une dame de qualité, et comment ferez-vous pour devenir dame de qualité? est-ce avec le bout de vos doigts?
--Oui, dis-je encore innocemment.
--Mais voyons, qu'est-ce que tu peux gagner, dit-elle; qu'est-ce que tu peux gagner par jour en travaillant?
--Six sous, dis-je, quand je file, et huit sous quand je couds du gros linge.
--Hélas! pauvre dame de qualité, dit-elle encore en riant, cela ne te mènera pas loin.
--Cela me suffira, dis-je, si vous voulez bien me laisser vivre avec vous.
Et je parlais d'un si pauvre ton suppliant que j'étreignis le coeur de la bonne femme, comme elle me dit plus tard.
--Mais, dit-elle, cela ne suffira pas à te nourrir et à t'acheter des vêtements; et qui donc achètera des robes pour la petite dame de qualité? dit-elle.
Et elle me souriait tout le temps.
--Alors je travaillerai plus dur, dis-je, et je vous donnerai tout l'argent.
--Mais, mon pauvre enfant, cela ne suffira pas, dit-elle; il y aura à peine de quoi te fournir d'aliments.
--Alors vous ne me donnerez pas d'aliments, dis-je encore, innocemment; mais vous me laisserez vivre avec vous.
--Et tu pourras vivre sans aliments? dit-elle.
--Oui, dis-je encore, comme un enfant, vous pouvez bien penser, et je pleurai encore de tout mon coeur.
Je n'avais aucun calcul en tout ceci; vous pouvez facilement voir que tout était de nature; mais c'était joint à tant d'innocence et à tant de passion qu'en somme la bonne créature maternelle se mit à pleurer aussi, et enfin sanglota aussi fort que moi, et me prit et me mena hors de la salle d'école: ?Viens, dit-elle, tu n'iras pas en service, tu vivras avec moi?; et ceci me consola pour le moment.
Là-dessus, elle alla faire visite au maire, mon affaire vint dans la conversation, et ma bonne nourrice raconta à M. le maire toute l'histoire; il en fut si charmé qu'il alla appeler sa femme et ses deux filles pour l'entendre, et ils s'en amusèrent assez entre eux, comme vous pouvez bien penser.
Enfin, une semaine ne s'était pas écoulée, que voici tout à coup madame la femme du maire et ses deux filles qui arrivent à la maison pour voir ma vieille nourrice, et visiter son école et les enfants. Après qu'elles les eurent regardés un peu de temps:
--Eh bien, madame, dit la femme du maire à ma nourrice, et quelle est donc, je vous prie, la petite fille qui veut être dame de qualité?
Je l'entendis et je fus affreusement effrayée, quoique sans savoir pourquoi non plus; mais madame la femme du maire vient jusqu'à moi:
--Eh bien, mademoiselle, dit-elle, et quel ouvrage faites-vous en ce moment?
Le mot mademoiselle était un langage qu'on n'avait guère entendu parler dans notre école, et je m'étonnai de quel triste nom elle m'appelait; néanmoins je me levai, fis une révérence, et elle me prit mon ouvrage dans les mains, le regarda, et dit que c'était très bien; puis elle regarda une de mes mains:
--Ma foi, dit-elle, elle pourra devenir dame de qualité, après tout; elle a une main de dame, je vous assure.
Ceci me fit un immense plaisir; mais madame la femme du maire ne s'en tint pas là, mais elle mit sa main dans sa poche
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