Moll Flanders | Page 4

Daniel Defoe
de Daniel de Fo? ne sont que le développement des deux supplications de l'humanité: ?Mon Dieu, donnez-nous notre pain quotidien;--mon Dieu, préservez-nous de la tentation!? Ce furent les paroles qui hantèrent sa vie et son imagination, jusqu'à la dernière lettre qu'il écrivit pour sa fille et pour son gendre quelques jours avant sa mort.
Je ne veux point parler ici de la puissance artistique de Daniel de Fo?. Il suffira de lire et d'admirer la vérité nue des sentiments et des actions. Ceux qui n'aiment pas seulement Robinson comme le livre de leur enfance trouveront dans Moll Flanders les mêmes plaisirs et les mêmes terreurs.
Georges Borrow raconte dans Lavengro qu'il rencontra sur le pont de Londres une vieille femme qui ne lisait qu'un livre. Elle ne voulait le vendre à aucun prix. Elle y trouvait tout son amusement et toute sa consolation. C'était un ancien livre aux pages usées, Borrow en lut quelques lignes: aussit?t il reconnut l'air, le style, l'esprit de l'écrivain du livre où d'abord il avait appris à lire. Il couvrit son visage de ses mains, et pensa à son enfance.... Ce livre de la vieille femme était Moll Flanders.
Il me reste à dire quelques mots de ma traduction. Je sens qu'elle est bien imparfaite, mais elle a au moins un mérite: partout où cela a été possible, les phrases ont conservé le mouvement et les coupures de la prose de de Fo?. J'ai respecté la couleur du style autant que j'ai pu. Les nonchalances de langage et les redites exquises de la narratrice ont été rendues avec le plus grand soin. Enfin j'ai essayé de mettre sous les yeux du lecteur fran?ais l'oeuvre même de Daniel de Fo?.
Marcel Schwob.
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MOLL FLANDERS
Mon véritable nom est si bien connu dans les archives ou registres des prisons de Newgate et de Old Bailey et certaines choses de telle importance en dépendent encore, qui sont relatives à ma conduite particulière, qu'il ne faut pas attendre que je fasse mention ici de mon nom ou de l'origine de ma famille; peut-être après ma mort ceci sera mieux connu; à présent il n'y aurait nulle convenance, non, quand même on donnerait pleine et entière rémission, sans exception de personnes ou de crimes.
Il suffira de vous dire que certaines de mes pires camarades, hors d'état de me faire du mal, car elles sont sorties de ce monde par le chemin de l'échelle et de la corde que moi-même j'ai souvent pensé prendre, m'ayant connue par le nom de Moll Flanders, vous me permettrez de passer sous ce nom jusqu'à ce que j'ose avouer tout ensemble qui j'ai été et qui je suis.
On m'a dit que dans une nation voisine, soit en France, soit ailleurs, je n'en sais rien, il y a un ordre du roi, lorsqu'un criminel est condamné ou à mourir ou aux galères ou à être déporté, et qu'il laisse des enfants (qui sont d'ordinaire sans ressource par la confiscation des biens de leurs parents), pour que ces enfants soient immédiatement placés sous la direction du gouvernement et transportés dans un h?pital qu'on nomme Maison des Orphelins, où ils sont élevés, vêtus, nourris, instruits, et au temps de leur sortie entrent en apprentissage ou en service, tellement qu'ils sont capables de gagner leur vie par une conduite honnête et industrieuse.
Si telle e?t été la coutume de notre pays, je n'aurais pas été laissée, pauvre fille désolée, sans amis, sans vêtements, sans aide, sans personne pour m'aider, comme fut mon sort; par quoi je fus non seulement exposée à de très grandes détresses, même avant de pouvoir ou comprendre ma situation ou l'amender, mais encore jetée à une vie scandaleuse en elle-même, et qui par son ordinaire cours amène la destruction de l'ame et du corps.
Mais ici le cas fut différent. Ma mère fut convaincue de félonie pour un petit vol à peine digne d'être rapporté: elle avait emprunté trois pièces de fine Hollande à un certain drapier dans Cheapside; les détails en sont trop longs à répéter, et je les ai entendus raconter de tant de fa?ons que je puis à peine dire quel est le récit exact.
Quoiqu'il en soit, ils s'accordent tous en ceci, que ma mère plaida son ventre, qu'on la trouva grosse, et qu'elle eut sept mois de répit; après quoi on la saisit (comme ils disent) du premier jugement; mais elle obtint ensuite la faveur d'être déportée aux plantations, et me laissa, n'étant pas agée de la moitié d'un an, et en mauvaises mains, comme vous pouvez croire.
Ceci est trop près des premières heures de ma vie pour que je puisse raconter aucune chose de moi, sinon par ou?-dire; il suffira de mentionner que je naquis dans un si malheureux endroit qu'il n'y avait point de paroisse pour y avoir recours afin de me nourrir
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