Moeurs et coutumes des Français dans les différents temps de la monarchie | Page 7

Tacitus
a cherchées? Tout
ce qu'on peut dire, c'est qu'ils n'ont pas pour ces choses autant d'avidité
que les autres nations. On voit même parmi eux de la vaisselle d'argent,
qui a été donnée à leur ambassadeurs ou à leurs princes; mais ils n'en
font pas plus de cas que de celle de terre. Ceux qui demeurent sur nos
frontières recherchent l'argent comme moyen de commerce, et
connaissent certaines pièces anciennes de notre monnaie, qu'ils aiment
mieux que les autres, par exemple celles qui portent la marque d'une
scie ou d'un chariot. Ceux qui habitent plus avant dans le pays

négocient avec la simplicité des premiers hommes, par échange. Ils
aiment mieux l'argent que l'or, sans autre raison, je crois, que parce
qu'il leur est plus commode pour acheter des choses de peu de valeur.
VI. On voit par leurs armes que le fer leur manque. Il y en a peu qui
aient des épées ou des pertuisanes. Leur javelot, ou ce qu'ils appellent
la framée, a le fer petit et étroit; ils sont très-adroits à s'en servir, soit
qu'ils combattent de près ou de loin. La cavalerie n'a que la lance et le
bouclier. L'infanterie est armée de dards, et chaque soldat en a plusieurs
qu'il sait lancer avec beaucoup de force et d'adresse; ils ne sont point
embarrassés par leurs habits, ni par leurs armes; ils n'ont qu'une saye
pour tout vêtement. Ils ne dépensent rien en parures, et ils ne sont
curieux que de teindre leurs boucliers de quelque belle couleur. Il y en
a peu qui aient des cuirasses, et encore moins des casques. Leurs
chevaux n'ont ni vitesse, ni beauté; ils ne sont point exercés comme les
nôtres à toutes sortes d'évolutions; ils ne savent que tourner à droite et
aller en avant, en formant le rond; de manière qu'il n'y en a point qui
soit le dernier. A considérer leurs troupes en général, l'infanterie est la
meilleure; c'est pourquoi ils la mêlent parmi la cavalerie, dont elle égale
la vitesse: ils choisissent pour cela les jeunes gens les mieux faits, qu'ils
mettent aux premiers rangs. Ils en prennent cent de chaque canton: ce
nombre, qui ne désignait d'abord que des gens d'une riche taille, est
devenu dans la suite un titre et le prix du courage. Leur armée est
rangée par bataillons et par escadrons. Ils croient que c'est plutôt une
marque de prudence que de lâcheté, de reculer, pourvu qu'on revienne à
la charge. Ils emportent leurs morts, même au plus fort du combat.
C'est une infamie parmi eux d'abandonner son bouclier, et ceux à qui ce
malheur est arrivé n'oseraient plus se trouver aux assemblées ni aux
sacrifices, et plusieurs qui s'étaient échappés de la bataille se sont
étranglés pour ne point survivre à leur déshonneur.
VII. Dans l'élection des rois, ils ont égard à la noblesse; mais dans leurs
généraux ils ne considèrent que la valeur. La puissance royale n'est ni
absolue, ni souveraine. Les généraux mêmes commandent plutôt par
leur exemple que par leur rang. Quand on les voit donner les premiers
dans une action, c'est moins l'obéissance qu'une noble émulation qui
engage à les suivre. Il n'y a que les prêtres qui aient droit d'emprisonner

et de punir; et les peines qu'ils ordonnent ne sont pas tant prises pour un
supplice, ni pour un effet de leur autorité, que pour un commandement
des dieux qu'ils croient présider aux batailles; c'est pour se rappeler la
présence de ces dieux qu'ils portent à la guerre certaines figures qu'ils
conservent avec soin dans les bois sacrés. Le motif principal qui excite
leur valeur vient de ce qu'ils ne s'enrôlent pas au hasard; ils suivent
l'étendard de leurs familles, d'où ils peuvent entendre les cris de leurs
femmes et de leurs enfants qui sont les plus assurés témoins de leur
bravoure, et comme les hérauts de leur gloire. C'est auprès de leurs
mères et de leurs femmes qu'ils se retirent lorsqu'ils sont blessés, et
elles ont le courage de sucer leurs plaies et de leur porter des
rafraîchissements dans le combat.
VIII. On dit que des armées entières, sur le point d'être défaites, ont été
reformées par les femmes, qui venaient se présenter aux coups et à une
captivité presque certaine; ce que leurs maris appréhendent plus pour
elles que pour eux-mêmes. Lorsqu'il s'agit de recevoir des otages, ils
demandent surtout des filles nobles; ils les regardent comme un gage
très-assuré. Ils croient même que ce sexe a quelque chose de divin, ils
ne négligent ni leurs conseils, ni leurs réponses. Nous avons vu sous
Vespasien une Velleda qui a passé longtemps parmi eux pour une
déesse. Ils ont eu depuis la même opinion à peu près d'Aurinia et de
plusieurs autres, auxquelles ils ont témoigné la vénération la plus
grande, et cela par une véritable
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