Micah Clarke - Tome I | Page 6

Arthur Conan Doyle
sur le c?té de leurs tricornes.
Ainsi que je l'appris plus tard, c'étaient des officiers de la flotte qui passaient par Havant, et nous voyant occupés dans la cour, ils étaient entrés pour nous demander des renseignements sur leur route.
Le plus jeune des deux aborda mon père, et commen?a l'entretien par un grand fracas de mots qui étaient pour moi de l'hébreu; mais maintenant je me souviens que c'était une série de ces jurons qui sont communs dans la bouche d'un marin.
Et pourtant que des gens qui sont sans cesse exposés à compara?tre devant le Tout-Puissant s'égarassent au point de l'insulter, cela fut toujours un mystère pour moi!
Mon père, d'un ton rude et sévère, l'invita à parler avec plus de respect des choses saintes.
Sur quoi les deux hommes lachèrent la bride à leur langue, et traitèrent mon père de farceur prédicant, de Jacquot presbytérien à figure de cafard.
Je ne sais ce qu'ils auraient dit encore, car mon père saisit le gros couteau dont il se servait pour lisser les cuirs, et s'élan?ant sur eux, il l'abattit sur le c?té de la tête de l'un deux, avec une telle force que sans la dureté de son chapeau, l'homme e?t été hors d'état de lancer désormais des jurons.
En tout cas, il tomba comme une b?che sur les pierres de la cour, pendant que son camarade dégainait vivement sa rapière et portait une botte dangereuse.
Mais mon père, qui avait autant d'agilité que de vigueur, fit un bond de c?té, et abattant sa massue sur le bras tendu de l'officier, il le brisa comme il aurait fait d'un tuyau de pipe.
Cette affaire ne fit pas peu de bruit, car elle survint à l'époque ou ces archi-menteurs, Oates, Bedloe et Carstairs troublaient l'esprit public par leurs histoires de complot, et où l'on s'attendait à voir des émeutes d'une fa?on où de l'autre éclater dans le pays.
Au bout de peu de jours, tout le Hampshire parlait du tanneur séditieux de Havant qui avait cassé la tête et le bras à deux serviteurs de Sa Majesté.
Toutefois une enquête démontra qu'il n'y avait rien dans l'affaire qui ressemblait à de la déloyauté, et les officiers ayant reconnu qu'ils avaient été les premiers à parler, les juges de paix se bornèrent à punir mon père d'une amende et à lui faire prendre l'engagement de rester désormais tranquille pendant une période de six mois.
Je vous conte ces faits pour que vous puissiez vous faire une idée de la piété farouche et grave dont étaient animés non seulement votre ancêtre, mais encore la plupart des hommes qui avaient été formés dans les troupes du Parlement.
Par bien des c?tés, ils ressemblaient davantage à ces Sarrasins fanatiques, qui croient à la conversion par le glaive, qu'aux disciples d'une croyance chrétienne.
Mais ils ont ce grand mérite d'avoir mené pour la plupart une vie pure et recommandable, car ils pratiquaient avec rigueur les lois qu'ils auraient volontiers imposées aux autres à la pointe de l'épée.
Sans doute, il y en eut dans ce grand nombre quelques-uns, pour qui la piété n'était que le masque de l'ambition, et d'autres qui pratiquaient en secret ce qu'ils condamnaient en public, mais il n'est point de cause, si bonne qu'elle soit, qui n'ait des parasites hypocrites de cette sorte.
Ce qui prouve que la grande majorité de ces Saints, ainsi qu'ils se qualifiaient eux-mêmes, étaient des gens de vie régulière, craignant Dieu, c'est ce fait qu'après le licenciement de l'armée républicaine, les vieux soldats s'empressèrent de se remettre au travail dans tout le pays, et qu'ils laissèrent leur empreinte partout où ils allèrent, grace à leur industrie et à leur valeur.
Il existe en Angleterre plus d'une opulente maison de commerce, à l'heure actuelle, qui peut faire remonter son origine à l'économie et à la probité d'un simple piquier d'Ireton ou de Cromwell.
Mais pour mieux nous faire comprendre le caractère de votre arrière grand-père, je vous conterai un incident qui montre combien étaient ardentes et sincères les émotions auxquelles étaient dues les crises violentes que j'ai décrites.
à cette époque, j'avais environ douze ans.
Mes frères, Hosea et Ephra?m, en avaient respectivement neuf et sept; la petite Ruth ne devait pas en avoir plus de quatre.
Le hasard avait amené chez nous un prédicateur ambulant des Indépendants, et ses enseignements religieux avaient rendu mon père sombre et excitable.
Un soir, je m'étais couché comme d'habitude, et je dormais profondément, c?te à c?te avec mes deux frères, lorsque nous f?mes réveillés et nous re??mes l'ordre de descendre.
Nous nous habillames à la hate.
Nous suiv?mes mon père dans la cuisine, où ma mère, pale, effarée, était assise, tenant Ruth sur ses genoux.
--Réunissez-vous autour de moi, mes enfants, dit-il d'une voix profonde et solennelle, afin que nous puissions para?tre tous ensemble devant le Tr?ne. Le Royaume du Seigneur est proche; oh! tenez-vous prêts à l'accueillir. Cette nuit même, mes bien-aimés, vous
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