Metella | Page 9

George Sand
princesse Wilhelmine.
--Ah! madame, dit le comte, je comprends très-bien les raisons de M. Olivier de Genève pour me calomnier auprès de vous!
--Vous calomnier, dit Metella en levant les épaules. Est-ce qu'il sait que vous m'avez fait un mensonge?
--Est-ce que vous allez mettre cette robe-là, milady? interrompit le comte. Oh! mais vous négligez votre toilette déplorablement!
--Cette robe arrive de France, mon ami; elle est de Victorine, et vous ne l'avez pas encore vue.
--Mais une robe de velours violet! c'est d'une sévérité effrayante.
--Attendez donc: il y a des noeuds et des torsades d'argent qui lui donnent beaucoup d'éclat.
--Ah! c'est vrai! voilà une toilette très-riche et très-noble. On a beau dire, Metella, c'est encore vous qui avez la mise la plus élégante, et il n'y a pas une femme de vingt ans qui puisse se vanter d'avoir une taille aussi belle....
--Hélas! dit Metella, je ne sens plus la souplesse que j'avais autrefois; ma démarche n'est plus aussi légère; il me semble que je m'affaisse et que je suis moins grande d'une ligne chaque jour.
--Vous êtes trop sincère et trop bonne, ma chère lady, dit le comte en baissant la voix. Il ne faut pas dire cela, surtout devant vos soubrettes; ce sont des babillardes qui iront le répéter dans toute la ville.
--J'ai un délateur qui parlera plus haut qu'elles, répondit Metella: c'est votre indifférence.
--Ah! toujours des reproches! Mon Dieu! qu'une femme qui se croit offensée est cruelle dans sa plainte et persévérante dans sa vengeance!
--Vengeance! moi, vengeance! dit Metella.
--Non, je me sers d'un mot inconvenant, ma chère lady; vous êtes douce et généreuse, en ai-je jamais douté! Allons, ne nous querellons pas, au nom du ciel! Ne prenez pas votre air abattu et fatigué. Votre coiffure est bien plate, ne trouvez-vous pas?
--Vous aimez ces bandeaux lisses avec un diamant sur le front....
--Je trouve qu'à présent les tresses descendant le long des joues, à la manière des reines du moyen age, vous vont encore mieux.
--Il est vrai que mes joues ne sont plus très-rondes, et qu'on les voit moins avec des tresses. Francesca, faites-moi des tresses.
--Metella, dit le comte lorsqu'elle fut coiffée, pourquoi ne mettez-vous pas de rouge?
--Hélas! il est donc temps que j'en mette, répondit-elle tristement. Je me flattais de n'en jamais avoir besoin.
--C'est une folie, ma chère; est-ce que tout le monde n'en met pas? Les plus jeunes femmes en ont.
--Vous ha?ssez le fard, et vous me disiez souvent que vous préfériez ma paleur à une fra?cheur factice.
--Mais la dernière fois que vous êtes sortie, on vous a trouvée bien pale.... On ne va pas au bal uniquement pour son amant.
--J'y vais uniquement pour vous aujourd'hui, je vous jure.
--Ah! milady, c'est à mon tour de dire qu'il n'en fut pas toujours ainsi! Autrefois vous étiez un peu fière de vos triomphes.
--J'en étais fière à cause de vous, Luigi; à présent qu'ils m'échappent et que je vous vois souffrir, je voudrais me cacher. Je voudrais éteindre le soleil et vivre avec vous dans les ténèbres.
--Ah! vous êtes en veine de poésie, milady. J'ai trouvé tout à l'heure votre Byron ouvert à cette belle page des ténèbres; je ne m'étonne pas de vous voir des idées sombres. Eh bien! le rouge vous sied à merveille. Regardez-vous, vous êtes superbe. Allons, Francesca, apportez les gants et l'éventail de milady. Voici votre bouquet, Metella; c'est moi qui l'ai apporté; c'est un droit que je ne veux pas perdre.?
Metella prit le bouquet, regarda tendrement le comte avec un sourire sur les lèvres et une larme dans les yeux. ?Allons, venez, mon amie, lui dit-il. Vous allez être encore une fois la reine du bal.?
Le bal était somptueux; mais, par un de ces hasards facétieux qui se rencontrent souvent dans le monde, il y avait une quantité exorbitante de femmes laides et vieilles. Parmi les jeunes et les agréables, il y en avait peu de vraiment jolies. Lady Mowbray eut donc un très-grand succès; et Olivier, qui ne s'attendait pas à la rencontrer, s'abandonna à sa na?ve admiration. Dès que le comte le vit auprès de lady Mowbray, il s'éloigna, et dès qu'il les vit s'éloigner l'un de l'autre, il prit le bras d'Olivier, et, sous le premier prétexte venu, il le ramena auprès de Metella. ?Vous m'avez dit en route que vous aviez vu Go?the, dit-il au voyageur; parlez donc de lui à milady. Elle est si avide d'entendre parler du vieux Faust qu'elle voulait m'envoyer à Weimar tout exprès pour lui rapporter les dimensions exactes de son front. Heureusement pour moi, le grand homme est mort au moment où j'allais me mettre en route.? Buondelmonte tourna sur ses talons fort habilement en achevant sa phrase, et laissa Olivier parler de Go?the à lady Mowbray.
Metella, qui l'avait d'abord accueilli avec une politesse bienveillante, l'écouta peu à peu avec intérêt. Olivier n'avait pas infiniment d'esprit, mais il avait
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