cette fois, ma robe des jours de
fête... Oh! la galante robe! Je l'ai encore devant les yeux, avec ses raies
de velours noir, pointillée d'or sur fond bleuâtre.
Mais bref, quand j'eus ma belle robe de velours:
-- Et maintenant, dis-je à ma mère, que vais-je faire?
-- Va garder les gelines, me dit-elle; qu'elles n'aillent pas dans l'aire...
Et toi, tiens-toi à l'ombre.
Plein de zèle, je vole vers les poules qui rôdaient par les chaumes,
becquetant les épis que le râteau avait laissés. Tout en gardant, voici
qu'une poulette huppée -- n'est-ce pas drôle? -- se met à pourchasser,
savez-vous quoi? une sauterelle, de celles qui ont les ailes rouges et
bleues... Et toutes deux, avec moi après, qui voulais voir la sauterelle,
de sauter à travers champs, si bien que nous arrivâmes au fossé du Puits
à roue!
Et voilà encore les fleurs d'or qui se miraient dans le ruisseau et qui
réveillaient mon envie, mais une envie passionnée, délirante, excessive,
à me faire oublier mes deux plongeons dans le fossé:
"Oh! mais, cette fois, me dis-je, va, tu ne tomberas pas!"
Et, descendant le talus, j'entortille à ma main un jonc qui croissait là; et
me penchant sur l'eau avec prudence, j'essaie encore d'atteindre de
l'autre main les fleurs de glais... Ah! malheur, le jonc se casse et va te
faire teindre! Au milieu du fossé, je plonge la tête première.
Je me dresse comme je puis, je crie comme un perdu, tous les gens de
l'aire accourent:
-- C'est encore ce petit diable qui est tombé dans le fossé. Ta mère,
cette fois, enragé polisson, va te fouailler d'importance!
Eh bien! non; dans le chemin, je la vis venir, pauvrette, tout en larmes
et qui disait:
-- Mon Dieu! je ne veux pas le frapper, car il aurait peut-être un
"accident". Mais ce gars, sainte Vierge, n'est pas comme les autres: il
ne fait que courir pour ramasser des fleurs; il perd tous ses jouets en
allant dans les blés chercher des bouquets sauvages... Maintenant, pour
comble, il va se jeter trois fois, depuis peut-être une heure, dans le fossé
du Puits à roue... Ah! tiens-toi, pauvre mère, morfonds-toi pour
l'approprier. Qui lui en tiendrait, des robes? Et bienheureuse encore --
mon Dieu, je vous rends grâce -- qu'il ne soit pas noyé!
Et ainsi, tous les deux, nous pleurions le long du fossé. Puis, une fois
dans le Mas, m'ayant quitté mon vêtement, la sainte femme m'essuya,
nu, de son tablier; et, de peur d'un effroi, m'ayant fait boire une
cuillerée de vermifuge elle me coucha dans ma berce, où, lassé de
pleurer, au bout d'un peu je m'endormis.
Et savez-vous ce que je songeai: pardi! mes fleurs de glais... Dans un
beau courant d'eau, qui serpentait autour du Mas, limpide, transparent,
azuré comme les eaux de la Fontaine de Vaucluse, je voyais de belles
touffes de grands et verts glaïeuls, qui étalaient dans l'air une féerie de
fleurs d'or!
Des demoiselles d'eau venaient se poser sur elles avec leurs ailes de
soie bleue, et moi je nageais nu dans l'eau riante; et je cueillais à
pleines mains, à jointées, à brassées, les fleurs de lis blondines. Plus
j'en cueillais, plus il en surgissait.
Tout à coup, j'entends une voix qui me crie: "Frédéri!"
Je m'éveille et que vois-je! Une grosse poignée de fleurs de glais
couleur d'or qui bondissaient sur ma couchette.
Lui-même, le patriarche, le Maître, mon seigneur père, était allé cueillir
les fleurs qui me faisaient envie; et la Maîtresse, ma mère belle, les
avait mises sur mon lit.
CHAPITRE II.
MON PÈRE.
L'enfant de ferme. -- La vie rurale. -- Mon père à la Révolution. -- La
bûche bénite. -- Les récits de la Noël. -- Le capitaine Perrin. -- Le maire
de Maillane en 1793 -- Le jour de l'an.
Mon enfance première se passa donc au Mas, en compagnie des
laboureurs, des faucheurs et des pâtres, et quand, parfois, passait au
Mas quelque bourgeois, de ceux-là qui affectent de ne parler que
français, moi, tout interloqué et même humilié de voir que mes parents
devenaient soudain révérencieux pour lui, comme s'il était plus qu'eux:
-- D'où vient, leur demandais-je, que cet homme ne parle pas comme
nous?
-- Parce que c'est un monsieur, me répondait-on.
-- Eh bien! faisais-je alors d'un petit air farouche, moi, je ne veux pas
être monsieur.
J'avais remarqué aussi que, quand nous avions des visites, comme celle,
par exemple du marquis de Barbentane (un de nos voisins de terres),
mon père qui, à l'ordinaire lorsqu'il parlait de ma mère, devant les
serviteurs, l'appelait "la maîtresse", là, en cérémonie, il la dénommait
_ma mouié_ (mon épouse). Le beau marquis et la marquise, qui se
trouvait être la soeur du général de Galliffet, chaque fois qu'ils
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