Qu��bec adorent sans subtilit�� ni doute, toi qui condamnas tes cr��atures �� gagner leur pain �� la sueur de leur front, laisses-tu s'effacer une seconde le pli s��v��re de tes sourcils, lorsque tu entends dire que quelques-unes de ces cr��atures sont affranchies, et qu'elles sont enfin �� leur aise?
�� leur aise... Il faut avoir besogn�� durement de l'aube �� la nuit avec son dos et ses membres pour comprendre ce que cela veut dire; et les gens de la terre sont ceux qui le comprennent le mieux. Cela veut dire le fardeau retir��: le pesant fardeau de travail et de crainte. Cela veut dire une permission de repos qui, m��me lorsqu'on n'en use pas, est comme une grace de tous les instants. Pour les vieilles gens cela veut dire un peu d'orgueil approuv�� de tous, la r��v��lation tardive de douceurs inconnues, une heure de paresse, une promenade au loin, une gourmandise ou un achat sans calcul inquiet, les cent complaisances d'une vie facile.
Le coeur humain est ainsi fait que la plupart de ceux qui ont pay�� la ran?on et ainsi la libert��--l'aise--se sont, en la conqu��rant, fa?onn�� une nature incapable d'en jouir, et continuent leur dure vie jusqu'�� la mort; et c'est �� ces autres, mal dou��s ou malchanceux qui n'ont pu se racheter, eux, et restent esclaves, que l'aise appara?t avec toutes ses graces d'��tat, inaccessible.
Peut-��tre les Chapdelaine pensaient-ils �� cela et chacun �� sa mani��re; le p��re avec l'optimisme invincible d'un homme qui se sait fort et se croit sage; la m��re avec un regret r��sign��; et les autres, les jeunes, d'une fa?on plus vague et sans amertume, �� cause de la longue vie assur��ment heureuse qu'ils voyaient devant eux.
Maria regardait parfois �� la d��rob��e Eutrope Gagnon, et puis d��tournait aussit?t les yeux tr��s vite, parce que chaque fois elle surprenait ses yeux �� lui fix��s sur elle, pleins d'une adoration humble. Depuis un an elle s'��tait habitu��e sans d��plaisir �� ses fr��quentes visites et �� recevoir chaque dimanche soir, dans le cercle des figures de la famille, sa figure brune qui respirait la bonne humeur et la patience; mais cette courte absence d'un mois semblait avoir tout chang��, et en revenant au foyer elle y rapportait une impression confuse que commen?ait une ��tape de sa vie �� elle o�� il n'aurait point de part.
Quand les sujets ordinaires de conversation furent ��puis��s, l'on joua aux cartes: au ?quatre-sept? et au ?boeuf?; puis Eutrope regarda sa grosse montre d'argent et vit qu'il ��tait temps de partir. Le fanal allum��, les adieux faits, il s'arr��ta un instant sur le seuil pour sonder la nuit du regard.
--Il mouille! fit-il.
Ses h?tes vinrent jusqu'�� la porte et regard��rent �� leur tour; la pluie commen?ait, une pluie de printemps aux larges gouttes pesantes, sous laquelle la neige commen?ait �� s'ameublir et �� fondre.
--Le sudet a pris, pronon?a le p��re Chapdelaine. On peut dire que l'hiver est quasiment fini.
Chacun exprima �� sa mani��re son soulagement et son plaisir; mais ce fut Maria qui resta le plus longtemps sur le seuil, ��coutant le cr��pitement doux de la pluie, guettant la glissade indistincte du ciel sombre au-dessus de la masse plus sombre des bois, aspirant le vent ti��de qui venait du sud.
--Le printemps n'est pas loin... Le printemps n'est pas loin...
Elle sentait que depuis le commencement du monde il n'y avait jamais eu de printemps comme ce printemps-l��.
CHAPITRE III
Trois jours plus tard Maria entendit en ouvrant la porte au matin un son qui la figea quelques instants sur place, immobile, pr��tant l'oreille. C'��tait un mugissement lointain et continu, le tonnerre des grandes chutes qui ��taient rest��es glac��es et muettes tout l'hiver.
--La glace descend, dit-elle en rentrant. On entend les chutes.
Alors ils se mirent tous �� parler une fois de plus de la saison qui s'ouvrait et des travaux qui allaient devenir possibles. Mai amenait une alternance de pluies chaudes et de beaux jours ensoleill��s qui triomphait peu �� peu du gel accumul�� du long hiver. Les souches basses et les racines ��mergeaient, bien que l'ombre des sapins et des cypr��s serr��s prot��geat la longue agonie des plaques de neige; les chemins se transformaient en fondri��res; l�� o�� la mousse brune se montrait, elle ��tait toute gonfl��e d'eau et pareille �� une ��ponge. En d'autres pays c'��tait le renouveau, le travail ardent de la s��ve, la pouss��e des bourgeons et bient?t des feuilles, mais le sol canadien, si loin vers le nord, ne faisait que se d��barrasser avec effort de son lourd manteau froid avant de songer �� revivre.
Dix fois, au cours de la journ��e, la m��re Chapdelaine ou Maria ouvrirent la fen��tre pour go?ter la ti��deur de l'air, pour ��couter le chuchotement de l'eau courante en quoi s'��vanouissait la derni��re neige sur les pentes, et cette autre grande voix qui annon?ait que la rivi��re P��ribonka s'��tait lib��r��e
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