former au hasard. Venez me prendre demain à neuf heures, je vous ferai voir s'il se peut, ma ma?tresse, et vous jugerez si elle mérite que je fasse cette démarche pour elle. Il me laissa seul, après mille protestations d'amitié. J'employai la nuit à mettre ordre à mes affaires, et m'étant rendu à l'h?tellerie de Mademoiselle Manon vers la pointe du jour je la trouvai qui m'attendait. Elle était à sa fenêtre, qui donnait sur la rue, de sorte que, m'ayant aper?u, elle vint m'ouvrir elle-même. Nous sort?mes sans bruit. Elle n'avait point d'autre équipage que son linge, dont je me chargeai moi-même. La chaise était en état de partir; nous nous éloignames aussit?t de la ville. Je rapporterai, dans la suite, quelle fut la conduite de Tiberge, lorsqu'il s'aper?ut que je l'avais trompé. Son zèle n'en devint pas moins ardent. Vous verrez à quel excès il le porta, et combien je devrais verser de larmes en songeant quelle en atoujours été la récompense.
Nous nous hatames tellement d'avancer que nous arrivames à Saint-Denis avant la nuit. J'avais couru à cheval à c?té de la chaise, ce qui ne nous avait guère permis de nous entretenir qu'en changeant de chevaux; mais lorsque nous nous v?mes si proche de Paris, c'est-à-dire presque en s?reté, nous pr?mes le temps de nous rafra?chir, n'ayant rien mangé depuis notre départ d'Amiens. Quelque passionné que je fusse pour Manon, elle sut me persuader qu'elle ne l'était pas moins pour moi. Nous étions si peu réservés dans nos caresses, que nous n'avions pas la patience d'attendre que nous fussions seuls. Nos postillons et nos h?tes nous regardaient avec admiration, et je remarquais qu'ils étaient surpris de voir deux enfants de notre age, qui paraissaient s'aimer jusqu'à la fureur. Nos projets de mariage furent oubliés à Saint-Denis; nous fraudames les droits de l'église, et nous nous trouvames époux sans y avoir fait réflexion. Il est s?r que, du naturel tendre et constant dont je suis, j'étais heureux pour toute ma vie, si Manon m'e?t été fidèle. Plus je la connaissais, plus je découvrais en elle de nouvelles qualités aimables. Son esprit, son coeur sa douceur et sa beauté formaient une cha?ne si forte et si charmante, que j'aurais mis tout mon bonheur à n'en sortir jamais. Terrible changement! Ce qui fait mon désespoir a pu faire ma félicité. Je me trouve le plus malheureux de tous les hommes, par cette même constance dont je devais attendre le plus doux de tous les sorts, et les plus parfaites récompenses de l'amour.
Nous pr?mes un appartement meublé à Paris. Ce fut dans la rue V... et, pour mon malheur auprès de la maison de M. de B..., célèbre fermier général. Trois semaines se passèrent, pendant lesquelles j'avais été si rempli de ma passion que j'avais peu songé à ma famille et au chagrin que mon père avait d? ressentir de mon absence. Cependant, comme la débauche n'avait nulle part à ma conduite, et que Manon se comportait aussi avec beaucoup de retenue, la tranquillité où nous vivions servit à me faire rappeler peu à peu l'idée de mon devoir. Je résolus de me réconcilier, s'il était possible, avec mon père. Ma ma?tresse était si aimable que je ne doutai point qu'elle ne p?t lui plaire, si je trouvais moyen de lui faire conna?tre sa sagesse et son mérite: en un mot, je me flattai d'obtenir de lui la liberté de l'épouser ayant été désabusé de l'espérance de le pouvoir sans son consentement. Je communiquai ce projet à Manon, et je lui fis entendre qu'outre les motifs de l'amour et du devoir celui de la nécessité pouvait y entrer aussi pour quelque chose, car nos fonds étaient extrêmement altérés, et je commen?ais à revenir de l'opinion qu'ils étaient inépuisables. Manon re?ut froidement cette proposition. Cependant, les difficultés qu'elle y opposa n'étant prises que de sa tendresse même et de la crainte de me perdre, si mon père n'entrait point dans notre dessein après avoir connu le lieu de notre retraite, je n'eus pas le moindre soup?on du coup cruel qu'on se préparait à me porter. à l'objection de la nécessité, elle répondit qu'il nous restait encore de quoi vivre quelques semaines, et qu'elle trouverait, après cela, des ressources dans l'affection de quelques parents à qui elle écrirait en province. Elle adoucit son refus par des caresses si tendres et si passionnées, que moi, qui ne vivais que dans elle, et qui n'avais pas la moindre défiance de son coeur, j'applaudis à toutes ses réponses et à toutes ses résolutions. Je lui avais laissé la disposition de notre bourse, et le soin de payer notre dépense ordinaire. Je m'aper?us, peu après, que notre table était mieux servie, et qu'elle s'était donné quelques ajustements d'un prix considérable. Comme je n'ignorais pas qu'il devait nous
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