de
Strasbourg, que le héros mange jusqu’à la dernière miette après avoir
consommé plusieurs viols, ce qui, joint à ses remords, lui donne une
abominable indigestion dont il meurt. -- Fin morale s’il en fut, qui
prouve que Dieu est juste et que le vice est toujours puni et la vertu
récompensée._
_Quant au genre monstre, vous savez comme ils l’ont traité, comme ils
ont arrangé Han d’Islande, ce mangeur d’hommes, __Habibrah l’obi,
Quasimodo le sonneur, et Triboulet, qui n’est que bossu, -- toute cette
famille si étrangement fourmillante, -- toutes ces crapauderies
gigantesques que mon cher voisin fait grouiller et sauteler à travers les
forêts vierges et les cathédrales de ses romans. Ni les grands traits à la
Michel-Ange, ni les curiosités dignes de Callot, ni les effets d’Ombre et
de Pair à la façon de Goya, rien n’a pu trouver grâce devant eux; ils
l’ont renvoyé à ses odes, quand il a fait des romans; à ses romans,
quand il a fait des drames: tactique ordinaire des journalistes qui aiment
toujours mieux ce qu’on a fait que ce qu’on fait. Heureux homme,
toutefois, que celui qui est reconnu supérieur même par les
feuilletonistes dans tous ses ouvrages, excepté, bien entendu, celui dont
ils rendent compte, et qui n’aurait qu’à écrire un traité de théologie ou
un manuel de cuisine pour faire trouver son théâtre admirable!_
_Pour le roman de coeur, le roman ardent et passionné, qui a pour père
Werther l’Allemand, et pour mère Manon Lescaut la Française, nous
avons touché, au commencement de cette préface, quelques mots de la
teigne morale qui s’y est désespérément attachée sous prétexte de
religion et de bonnes moeurs. Les poux critiques sont comme les poux
de corps qui abandonnent les cadavres pour aller aux vivants. Du
cadavre du roman moyen âge les critiques sont passés au corps de
celui-ci, qui a la peau dure et vivace et leur _pourrait bien ébrécher les
dents.
_Nous pensons, malgré tout le respect que nous avons pour les
modernes apôtres, que les auteurs de ces romans appelés immoraux,
sans être aussi mariés que les journalistes vertueux, ont assez
généralement une mère, et que plusieurs d’entre eux ont des soeurs et
sont pourvus d’une abondante famille féminine; mais leurs mères et
leurs soeurs ne lisent pas de romans, même de romans immoraux; elles
cousent, brodent et s’occupent des choses de la maison. -- Leurs bas,
comme dirait M. Planard, sont d’une entière blancheur: vous les pouvez
regarder aux jambes, -- elles ne sont pas bleues, et le bonhomme
Chrysale, lui qui haïssait tant les femmes savantes, les proposerait pour
exemple à la docte Philaminte._
_Quant aux épouses de ces messieurs, puisqu’ils en ont tant, si
virginaux que soient leurs maris, il me semble, à moi, qu’il est de
certaines choses qu’elles doivent savoir. -- Au fait, il se peut bien qu’ils
ne leur aient rien montré. Alors je comprends qu’ils tiennent à les
maintenir dans cette précieuse et benoîte ignorance. Dieu est grand et
Mahomet est son prophète! -- Les femmes sont curieuses; fassent le ciel
et la morale qu’elles contentent leur curiosité d’une manière plus
légitime qu’Ève, leur grand-mère, et n’aillent pas faire des questions au
serpent!_
_Pour leurs filles, si elles ont été en pension, je ne vois _pas ce que les
livres pourraient leur apprendre.
_Il est aussi absurde de dire qu’un homme est un ivrogne parce qu’il
décrit une orgie, un débauché parce qu’il raconte une débauche que de
prétendre qu’un homme est vertueux parce qu’il a fait un livre de
morale; tous les jours on voit le contraire. -- C’est le personnage qui
parle et non l’auteur; son héros est athée, cela ne veut pas dire qu’il soit
athée; il fait agir et parler les brigands en brigands, il n’est pas pour
cela un brigand. À ce compte, il faudrait guillotiner Shakespeare,
Corneille et tous les tragiques; ils ont plus commis de meurtres que
Mandrin et Cartouche; on ne l’a pas fait cependant, et je ne crois même
pas qu’on le fasse de longtemps, si vertueuse et si morale que puisse
devenir la critique. C’est une des manies de ces petits grimauds à
cervelle étroite que de substituer toujours l’auteur à l’ouvrage et de
recourir à la personnalité pour donner quelque pauvre intérêt de
scandale à leurs misérables rapsodies, qu’ils savent bien que personne
ne lirait si elles ne contenaient que leur opinion individuelle._
_Nous ne concevons guère à quoi tendent toutes ces criailleries, à quoi
bon toutes ces colères et tous ces abois, -- et qui pousse messieurs les
Geoffroy au petit pied à se faire les don Quichotte de la morale, et,
vrais sergents de ville littéraires, à empoigner et à bâtonner, au nom de
la vertu, toute idée qui se promène dans un livre __la cornette posée de
travers ou
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