Mademoiselle La Quintinie | Page 9

George Sand
car je sentais bien qu'il pouvait seul suppl��er �� ma timidit��.... D'o�� vient que cette brusque fa?on de me pousser dans ma destin��e me faisait souffrir?
Il remarqua mon silence et parut s'en inqui��ter.
?Apr��s ?a, me dit-il, peut-��tre t'es-tu moqu�� de moi en me disant que tu ��tais ��pris de mademoiselle La Quintinie; et peut-��tre au fond penses-tu toujours �� mademoiselle Marsanne?
--Dis-moi, lui r��pondis-je, que tu es amoureux d'��lise, et laissons l'autre tranquille. Pauvre jeune fille, si riante et si heureuse, qu'a-t-elle fait d'excentrique ou de hasard�� aujourd'hui, pour que deux ��coliers en vacances se permettent d'��pier le premier battement de son coeur et de disposer de sa vie dans leurs r��ves??
Henri se prit �� rire, et puis tout d'un coup il me d��veloppa d'un ton fort s��rieux, et pour la premi��re fois, ses th��ories sur l'amour et le mariage.
?Mon cher ami, dit-il, libre �� toi de te prendre pour un ��colier; mais, moi, je sens que je suis un homme, et un homme de mon temps, qui plus est. A vingt-cinq ans, j'en ai, �� beaucoup d'��gards, cinquante. Tu ne m'en fais pas ton compliment, je le sais, je t'en dispense. Je n'ai pas la pr��tention de te servir de mod��le, et je ne me permets pas de vouloir rien d��ranger au syst��me d'��ducation que ton p��re t'a appliqu��. Je suis ce qu'on m'a fait, ce que le monde d'aujourd'hui fait de tous les jeunes gens qui ne se pr��sentent pas �� lui arm��s de toutes pi��ces par la d��esse Minerve, et cuirass��s de th��ories plus ou moins transcendantes. Je ne suis pas venu au monde comme toi, avec une fortune bien ��tablie. Mon p��re a mang�� gaiement la sienne sans trop songer �� mon avenir, c'��tait son droit. Il m'a procur�� un emploi assez lucratif dans un minist��re. Je suis un homme occup��, moi, et je n'en suis pas plus fier car mon occupation ne sert absolument �� rien et ne me prend pas une parcelle de mon intelligence, de mon coeur ou de ma volont��. Je suis un privil��gi�� qui ne feint m��me pas de travailler, vu qu'il est fier et m��prise l'hypocrisie, un ��tre compl��tement inutile �� la soci��t��, et qui ne se soucie pas plus d'elle qu'elle ne se soucie de lui. Mon p��re s'est servi d'une influence acquise par ses opinions; moi, je n'ai pas encore d'opinions politiques, et, comme je suis un honn��te gar?on, je ne feins pas plus d'en avoir que je ne feins de prendre mon emploi au s��rieux. Je sais tr��s-bien qu'en perdant mon p��re, je resterai sans appui, et que, si j'ai affaire alors �� des sup��rieurs z��l��s, �� des p��dants administratifs, je perdrai ma place. Voil�� pourquoi je songe �� me marier pendant que j'ai cette place, qui fait de moi ce qu'on appelle un parti sortable. Qui dit mariage dit donc affaire dans la position o�� je suis; cette position, je ne me la suis pas faite, je l'ai subie. Je n'aurais pas mieux demand�� que d'��tre un homme de m��rite, mais on ne m'a pas donn�� l'occasion de le devenir. J'y suppl��erai par ma volont�� quand je me sentirai m?r. Je r��fl��chirai, j'��crirai ou j'agirai; je serai quelque chose. Il n'est pas permis de ne rien ��tre au temps o�� nous vivons. Ce que je produirai, je ne le sais pas encore, mais je sais la philosophie que j'aurai, et je veux bien te la dire d'avance.
?Je ne sais absolument rien de la vie future, voil�� pourquoi je ne la nie pas; mais je ne force pas non plus mon imagination pour y croire; Toute ma religion consiste �� accepter l�� vie pr��sente telle qu'elle est, et �� ne pas chercher querelle �� Dieu sur son peu de dur��e. J'accepte aussi la courte mesure d'intelligence qu'il m'a donn��e, ainsi qu'�� la plupart de mes semblables, et ma vertu consiste �� n'en pas faire le mauvais usage de pr��f��rer le laid au beau, le mal au bien. Donc, je ne ferai jamais d'action perverse et je n'aurai pas de vices, ce qui ne sera pas une conduite trop vulgaire; je n'ai pas de go?t pour ce qui est vulgaire.
?Te voil�� fix�� sur mes principes de religion et de moralit��, ils tiennent, comme tu le vois, en deux mots: tol��rance et bon go?t. C'est assez, si ces deux mots-l�� sont s��rieux.
?Passons au chapitre du sentiment. Je suis passionn��, avec l'imagination froide, c'est-��-dire que je suis jeune, que je n'ai abus�� de rien, que j'ai encore des sens, et que je suis tr��s-capable d'aimer une femme �� la condition qu'elle sera ma femme et que je pourrai l'estimer. Je n'estime pas les femmes en g��n��ral. Toutes celles que j'ai connues intimement jouaient un r?le quelconque, et se sont class��es dans mon souvenir comme des actrices plus ou moins habiles; mais
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