est en elle lorsqu'elle nous commande de croire à l'existence du diable et aux peines éternelles de l'enfer. Cette croyance à la nécessité d'un rival et d'un ennemi de Dieu, éternellement vivant, éternellement mauvais, éternellement puissant, possesseur et roi absolu d'un incommensurable ab?me où toutes les ames coupables de l'univers doivent, revêtues de leurs corps, subir éternellement des supplices sans nom, sans que Dieu veuille ou puisse faire grace, cette croyance inqualifiable est-elle obligatoire?
Jusqu'ici, l'église a dit oui dans son enseignement officiel, comme: elle a dit oui sur bien d'autres questions qui se rencontreront sous notre plume dans Mademoiselle La Quintinie. Elle dit encore oui par les termes des allocutions papales, par les formules naguère remises en vigueur de l'excommunication, par la plupart des mandements des prélats, par les sermons que l'on entend dans toutes les églises, enfin par les organes dont le clergé dispose jusque dans la presse quotidienne.
Pourtant nous croyons fermement que les honnêtes gens qui se disent catholiques, et M. Octave Feuillet tout le premier, nient ce dogme des peines éternelles contre lequel ont protesté des saints canonisés, et qui inspire une véritable horreur à tous les bons chrétiens.
Nous savons aussi de source certaine que des catholiques éclairés refusent de se prononcer sur ce point comme sur beaucoup d'autres, et que bon nombre d'ecclésiastiques autorisent le refus intérieur et la protestation douloureuse des ames délicates. Pourtant le silence est ordonné, il ne faut point donner de démenti officiel à l'église. Le prêtre pourrait être censuré, le fidèle pourrait mettre son salut en péril. D'ailleurs, n'est-il pas bon que les paysans, les enfants et les femmes soient menés par la peur? Ne faut-il pas que des millions d'ames restent dans l'idolatrie pa?enne et croient que la vengeance et la férocité sont toujours des attributs divins?
Il y aurait donc en ce temps-ci deux églises: une officielle qui a le droit d'imposer, et une secrète qui a le droit de protester. Nous avouons que l'existence de ces deux droits nous para?t inconciliable avec la logique de la foi.
Mais non, il n'y a pas deux églises dans l'église: Il y en a trente, il y en a cent; il y en a mille, il y en a peut-être autant que de catholiques. Reconnaissons que l'esprit humain est arrivé à ce point qu'il a beau aliéner sa liberté en principe, il ne peut plus l'aliéner en réalité, et que les papes eux-mêmes, dans l'appréciation de certaines questions contraires à l'esprit chrétien, sont de libres penseurs tout comme les autres.
Il est libre, en effet, celui qui prononce cette parole: Je te maudis! de même que celui qui répond: Nul n'a droit de maudire son semblable, est libre devant Dieu. Reste à savoir lequel des deux l'esprit de Dieu inspire. Là n'est point la question; nous demandons à savoir où réside ce que l'on appelle l'orthodoxie, et d'où part ce que l'on invoque comme l'autorité. Si elles émanent des allocutions papales, des formules de l'excommunication, des mandements des évêques, des sermons des ecclésiastiques et des manifestes de la presse catholique, nous sommes certains que l'esprit clérical est condamné par la conscience publique, et qu'il est inutile de lui faire la guerre.
Mais il y a autre chose que la doctrine cléricale, il y a le parti clérical, dont les menées rentrent dans l'ordre des agitations politiques, et qui dès lors peut, à un jour donné, faire éclater un vaste complot contre le principe de la liberté sociale et individuelle. Je ne crois pas que ce parti menace beaucoup tel ou tel gouvernement. Je crois qu'il s'accommodera toujours de ceux qui lui garantiront la prépondérance de l'intrigue et de l'intimidation sourde, qu'ils soient démocratiques ou de droit divin; mais il veut, à coup s?r, combattre le progrès de la raison, atrophier le sens de la liberté dans l'homme, et, pour en venir à ses fins, il a une arme qui para?t toute-puissante, il a une apparence de doctrine.
Nous disons une apparence, car il n'a rien de plus; mais l'idée d'une doctrine arrêtée et formulée est quelque chose de si tentant aux époques de doute et de transition, que les esprits fatigués de luttes et paresseux devant tout examen--c'est le grand nombre--se groupent autour du drapeau qui flotte au vent et se déclarent enrégimentés, à la condition qu'on ne leur demandera plus de comprendre leur devoir et d'étudier leur droit.
Cet état de quiétisme religieux et social est fort commode, mais profondément immoral et malsain, surtout quand, au lieu de se former autour d'un principe, il s'agglomère autour d'une ombre.
C'est cette ombre qu'il faut démasquer. Il faut lui demander qui elle est et la sommer de répondre, ou la laisser passer et se détourner d'elle si elle reste muette. Or, à l'heure qu'il est, elle parle beaucoup, elle crie très-haut, l'ombre noire qui se dit persécutée! elle fait
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