Mademoiselle Clocque | Page 3

René Boylesve
s'��tait mari��, avait eu des enfants; elle avait vu se d��rouler �� c?t�� d'elle l'��pisode d'un court bonheur; puis des deuils, des malheurs de fortune ��taient survenus qui avaient r��duit la famille �� une ni��ce, Genevi��ve, grande jeune fille de dix-sept ans, achevant son ��ducation au pensionnat du Sacr��-Coeur de Marmoutier.
Souvent, avant l'heure de d?ner, Mlle Cloque descendait, sous le pr��texte de jeter un coup d'oeil �� la cuisine, causer avec sa vieille bonne, Mariette.
--Ah ?��! voyons, Mariette, qu'est-ce que ?a sent donc?
--Qu'est-ce que ?a sent? Mais, Mademoiselle, je viens seulement d'allumer mon fourneau, qu'est-ce que vous voulez donc que ?a sente?
--Je vous dis que ?a monte jusque l��-haut... Je suis descendue voir si vous laissiez br?ler quelque chose.
--Ah! faisait Mariette, en secouant sa figure toute rid��e, faut-il en avoir un nez! faut-il en avoir un!...
Et sur cet innocent subterfuge qui lui servait presque quotidiennement de pr��ambule, Mlle Cloque ��chafaudait une conversation peu vari��e dont deux sujets immuables faisaient les frais: le projet de mariage de sa ni��ce Genevi��ve et le projet de la reconstruction de la Basilique de Saint-Martin. Il semblait que tout l'avenir f?t contenu dans la solution de ces deux questions.
Et, en effet, les pieuses ames de Tours ne doutaient pas que le sort de la religion ne d��pend?t de l'��glise colossale qu'il s'agissait de relever des ruines o�� l'avait r��duite la R��volution, pour la faire resurgir comme un hardi d��fi �� la libre-pens��e. Dans toute la ville il n'��tait bruit que de cette affaire.
Quant �� l'union de la petite Genevi��ve,--entretenue �� grand'peine par sa vieille tante, dans un couvent co?teux,--avec le jeune sous-lieutenant Marie-Joseph de Grenaille-Montcontour, c'��tait une perspective d'un int��r��t si vif et si imm��diat qu'elle passionnait quiconque avait de l'amiti�� pour Mlle Cloque.
Mlle Cloque poussait tout �� coup un profond soupir.
--Allons, voyons! Mademoiselle, qu'est-ce qu'il y a encore? Votre marquis ne vous a donc point dit des b��tises pour vous d��rider un brin?
Mariette disait ?votre marquis? avec une nuance accentu��e de d��dain, �� cause de la r��putation d'irreligion de M. d'Aubrebie.
--Le marquis? Le marquis est un vieux sacripant qui ne croit ni �� Dieu, ni �� diable. Il faut le plaindre et prier pour lui. Le pauvre homme n'a que sa distinction naturelle; c'est un homme comme il faut, assur��ment, et il est respectable �� cause du grand malheur dont la Providence l'a afflig��; mais, voyez-vous bien, ma pauvre Mariette, ce ne sont pas ces gens-l�� qui sont capables de vous donner un conseil...
--Un conseil? Ah! bien! Mademoiselle en a peut-��tre besoin d'un conseil? Mais c'est-il pas �� vous que toutes ces dames viennent en demander des conseils, et �� tout bout de champ, et quand bien m��me il ne s'agirait que de savoir s'il faut prendre sa gauche ou sa droite!...
--Mettez donc vos lunettes pour trier votre salade, voyons, Mariette, faudra-t-il que je vous le dise cent fois!... Ah! d��cid��ment, c'est une grosse charge que d'avoir une jeune fille �� caser. Quand on est son p��re ou sa m��re, on prend plus facilement une d��cision.
--S'il s'agissait de la marier �� quelqu'un sans argent ou �� un olibrius qui ne lui plairait point, je comprendrais que vous ayez de la peine, mais d'abord elle en est folle de son militaire, Mlle Genevi��ve, ?a, on peut le dire...
--Taisez-vous, Mariette, ne dites pas des choses comme cela! Vous ne savez rien, et cette enfant est trop jeune, ��lev��e comme elle est, �� son couvent, pour savoir seulement ce que c'est que...
--Que de sentir que ?a lui fait toc toc sous sa m��daille de sagesse? Allez donc! faut pas vous tourmenter, Mademoiselle; la poule sait chanter avant d'avoir pondu. Je vous donne ma parole...
--Allons! faites ce que vous avez �� faire, vous bavarderez une autrefois. Je vais voir si le journal est arriv��.
Le samedi soir, le Journal du D��partement arrivait une heure plus t?t que de coutume, et le porteur, s'il ne pleuvait pas, le glissait sans sonner sous la porte du jardin donnant dans la rue de la Bourde. Mlle Cloque traversa le petit parterre grand comme la main qui entourait deux c?t��s de la maison. Avec des prodiges de soins et d'��conomies, elle y entretenait elle-m��me des rosiers et quelques fleurs. Une haie de fusains s��parait son jardinet d'une grande cour encombr��e de tuyaux de po��le, de lames de zinc, de charrettes �� bras, de ferrailles et des mille accessoires qu'exigeait la profession du propri��taire, Loupaing, entrepreneur de plomberie. Depuis une ann��e ou deux, les arbustes commen?aient �� ��tre assez touffus pour que l'on se trouvat �� peu pr��s garanti du contact des ouvriers de Loupaing, affreux borgne presque toujours ivre, et des regards inquisiteurs de la m��re Loupaing qui, de sa fen��tre du premier, tout en tricotant des bas, passait sa vie �� ��pier le voisinage.
Le journal, pli�� en quatre, et tout ?humide encore
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