fleurs, que
vous embaumez de votre souffle?»
Bien que Théodoros ait eu plusieurs enfants, Alamayou est le seul
légitime. Le plus âgé de tous ses enfants est un garçon d'environ
vingt-deux ans, appelé le prince Meshisho; il est gros, méchant et
paresseux. Quoique Théodoros nous l'ait présenté à Zagé pour qu'il
devint ami des Anglais, cependant il ne l'aimait pas. Ce jeune homme
était si différent de Théodoros, que celui-ci avait douté sérieusement
qu'il fût son fils. Ses cinq ou six autres enfants, issus de ses relations
illégitimes avec ses concubines, résidaient à Magdala et étaient élevés
dans le harem. Il s'était fort peu enquis d'eux: mais toutes les fois qu'il
passait à Magdala, il envoyait chercher Alamayou et passait des heures
entières à jouer avec lui. Quelques jours avant sa mort, il le présenta à
M. Rassam en disant: «Alamayou, pourquoi ne saluez-vous pas votre
père?» Puis à la fin de l'audience, il l'envoya pour nous accompagner
jusqu'à notre quartier.
La mère d'Alamayou ne se plaignit jamais; quoique délaissée par son
mari, elle lui fut toujours fidèle. Elle employait habituellement toutes
ses journées à lire le livre qu'elle aimait par-dessus tout, les Psaumes,
ou bien la Vie des Saints et de la Vierge Marie. Elle n'avait d'autre
distraction que d'élever à ses côtés ce fils unique et bien-aimé, pour
lequel elle ressentait une si profonde affection. Lorsque Menilek, roi de
Shoa, fit sa manifestation devant l'Amba, une trahison étant à craindre,
elle renvoya son fils, et faisant appeler les officiers et les soldats, elle
leur fît jurer fidélité an trône. Deux jours avant sa mort, Théodoros fit
venir sa femme qu'il n'avait pas vue depuis plusieurs années, et passa
une après-midi entière avec elle et son fils.
Après la prise de Magdala, Waizero Terunish et Waizero Tamagno sa
rivale furent envoyées à notre première prison, où elles furent protégées
et traitées avec sympathie. Il m'échut en partage de les recevoir a leur
arrivée; et je fis mes efforts pour leur inspirer toute confiance, apaiser
leur terreur, et les assurer que sous le pavillon britannique, elles
seraient traitées avec honneur et respect.
C'était le 13 avril 1866 que Théodoros, alors puissant, nous avait
traîtreusement arrêtés dans sa propre maison; et chose étrange, ce fut le
13 avril, deux ans plus tard, que son corps fut porté dans notre tente,
pendant que sa femme et sa favorite recevaient l'hospitalité sous le toit
de ceux mêmes qu'il avait si longtemps maltraités.
Les deux reines et le jeune Alamayou accompagnèrent l'armée anglaise
dans sa retraite. Waizero Tamagno, dès qu'elle put retourner
prudemment chez elle a Yedjow, nous quitta avec beaucoup de
témoignages de sensibilité et de gratitude pour toutes les boutés et les
attentions dont elle avait été l'objet, surtout de la part du commandant
en chef. Mais la pauvre Terunish mourut à Aikullet. Sou fils Alamayou,
fils de Théodoros et petit-fils d'Oubié, vient d'atteindre, orphelin et
exilé, le rivage britannique, où il est certain de trouver les égards et les
soins affectueux dus à son infortune.
Notes:
[1] Shamas, vêtement bland de colon, brodé de rouge, tissé dans le
pays.
[2] La wancha est une grande coupe de corne.
[3] Girâf, fouet de peau d'hippopotame.
[4] L'injerna est une espèce de gâteau fait de petites graines de teff.
[5] Brindo, boeuf cru.
II
Les Européens en Abyssinie.--M. Bell et M. Plowden.--Leur vie et leur
mort.--Le consul Cameron.--M. Lejean.--M. Bardel et la réponse de
Napoléon III à Théodoros.--Le peuple de Gaffat.--M. Stern et la
mission de Djenda.--Etat des affaires à la fin de 1863.
L'Abyssinie semble avoir été, de tout temps, un objet de fascination
pour les Européens. Les deux premiers, dont le nom est lié aux
dernières affaires d'Abyssinie, sont MM. Bell et Plowden, qui entrèrent
dans ce pays en 1842. M. John Bell, plus connu dans ce pays sons le
nom de Johannes, fut le premier attaché à la fortune de Ras-Ali. Il prit
du service sous ce prince et fut élevé au rang de basha (capitaine); mais
il paraît que Ras-Ali ne lui accorda jamais une grande confiance. Il le
toléra plutôt à cause de l'amitié que M. Bell avait inspirée à son ami, M.
Plowden, que pour la propre personne du capitaine. Bell, peu de temps
après, épousa une jeune demoiselle d'une des meilleures familles de
Begemder. Il eut trois enfants de cette union; deux filles, mariées toutes
les deux à des serviteurs de souverains européens, et un fils, qui quitta
le pays en même temps que les captifs. Bell combattit à côté de Ras-Ali
à la bataille d'Amba-Djisella, qui fut si fatale à ce prince; mais il se
retira vers la fia du combat dans une église, pour y attendre, en prière,
l'issue des événements. Théodoros ayant eu connaissance de sa
présence dans le sanctuaire, lui lit dire de
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