peu le souvenir de Tarbes et des hautes montagnes qu'on apercevait de notre fenêtre; nous appr?mes le fran?ais et nous dev?nmes, nous aussi, un vrai Parisien.
Qu'on ne croie pas que ce soit là une historiette inventée à plaisir pour amuser le lecteur. Le fait est rigoureusement exact et montre que les marchands de chiens de ce temps-là étaient aussi rusés que des maquignons, pour parer leurs sujets et tromper le bourgeois.
Après la mort de Cagnotte, notre go?t se porta vers les chats, comme plus sédentaires et plus amis du foyer. Nous n'entreprendrons pas leur histoire détaillée. Des dynasties de félins, aussi nombreuses que les dynasties des rois égyptiens, se succédèrent dans notre logis; des accidents, des fuites, des morts, les emportèrent les uns après les autres. Tous furent aimés et regrettés. Mais la vie est faite d'oubli, et la mémoire des chats s'efface comme celle des hommes.
Cela est triste, que l'existence de ces humbles amis, de ces frères inférieurs, ne soit pas proportionnée à celle de leurs ma?tres.
Après avoir mentionné une vieille chatte grise qui prenait parti pour nous contre nos parents et mordait les jambes de notre mère lorsqu'elle nous grondait ou faisait mine de nous corriger, nous arriverons à Childebrand, un chat de l'époque romantique. On devine, à ce nom, l'envie secrète de contrecarrer Boileau, que nous n'aimions pas alors et avec qui nous avons depuis fait la paix. Nicolas ne dit-il point:
O le plaisant projet d'un po?te ignorant Qui de tant de héros va choisir Childebrand!
Il nous semblait qu'il ne fallait pas être si ignorant que cela pour aller choisir un héros que personne ne connaissait. Childebrand nous paraissait, d'ailleurs, un nom très-chevelu, très-mérovingien, on ne peut plus moyen age et gothique, et fort préférable à un nom grec, Agamemnon, Achille, Idoménée, Ulysse, ou tout autre. Telles étaient les moeurs du temps, parmi la jeunesse du moins, car jamais, pour nous servir de l'expression employée dans la notice des fresques extérieures de Kaulbach à la pinacothèque de Munich, jamais l'hydre du perruquinisme ne dressa têtes plus hérissées; et les classiques, sans doute, appelaient leurs chats Hector, Ajax, ou Patrocle. Childebrand était un magnifique chat de gouttière à poil ras, fauve et rayé de noir, comme le pantalon de Saltabadil dans Le Roi s'amuse. Il avait, avec ses grands yeux verts coupés en amande et ses bandes régulières de velours, un faux air de tigre qui nous plaisait;--les chats sont les tigres des pauvres diables,--avons-nous écrit quelque part. Childebrand eut cet honneur de tenir une place dans nos vers, toujours pour taquiner Boileau:
Puis je te décrirai ce tableau de Rembrandt Qui me fait tant plaisir; et mon chat Childebrand, Sur mes genoux posé selon son habitude, Levant sur moi la tête avec inquiétude, Suivra les mouvements de mon doigt qui dans l'air Esquisse mon récit pour le rendre plus clair.
Childebrand vient là fournir une bonne rime à Rembrandt, car cette pièce est une espèce de profession de foi romantique à un ami, mort depuis, et alors aussi enthousiaste que nous de Victor Hugo, de Sainte-Beuve et d'Alfred de Musset.
Comme don Ruy Gomez de Silva faisant à don Carlos impatienté la nomenclature de ses a?eux à partir de don Silvius ?qui fut trois fois consul de Rome?, nous serons forcé de dire, à propos de nos chats: ?J'en passe et des meilleurs?, et nous arriverons à Madame-Théophile, une chatte rousse à poitrail blanc, à nez rose et à prunelles bleues, ainsi nommée parce qu'elle vivait avec nous dans une intimité tout à fait conjugale, dormant sur le pied de notre lit, rêvant sur le bras de notre fauteuil, pendant que nous écrivions, descendant au jardin pour nous suivre dans nos promenades, assistant à nos repas et interceptant parfois le morceau que nous portions de notre assiette à notre bouche.
Un jour, un de nos amis, partant pour quelques jours, nous confia son perroquet pour en avoir soin tant que durerait son absence. L'oiseau se sentant dépaysé était monté, à l'aide de son bec, jusqu'au haut de son perchoir et roulait autour de lui, d'un air passablement effaré, ses yeux semblables à des clous de fauteuil, en fron?ant les membranes blanches qui lui servaient de paupières. Madame-Théophile n'avait jamais vu de perroquet; et cet animal, nouveau pour elle, lui causait une surprise évidente. Aussi immobile qu'un chat embaumé d'égypte dans son lacis de bandelettes, elle regardait l'oiseau avec un air de méditation profonde, rassemblant toutes les notions d'histoire naturelle qu'elle avait pu recueillir sur les toits, dans la cour et le jardin. L'ombre de ses pensées passait par ses prunelles changeantes et nous p?mes y lire ce résumé de son examen: ?Décidément c'est un poulet vert.?
Ce résultat acquis, la chatte sauta à bas de la table où elle avait établi son observatoire et alla se raser dans un coin de la
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