nuit à l'écrire. Il attend le duc d'un air allumé de crainte et d'espérance.? Son désir l'enflamme; en véritable artiste, il s'échauffe à l'oeuvre. ?Je ne pus me contenir de lui dire à l'oreille que je ne serais point heureux avec une autre qu'avec sa fille.? On lui oppose de nouvelles difficultés; à l'instant un po?me d'arguments, de réfutations, d'expédients, pousse et végète dans sa tête; il étourdit le duc ?de la force de son raisonnement et de sa prodigieuse ardeur;? c'est à peine si enfin, vaincu par l'impossible, il se déprend de son idée fixe. Balzac courait comme lui après des romans pratiques ou non pratiques. Cette invention violente et cet acharnement de désir sont la grande marque littéraire. Ajoutez-y la dr?lerie comique et l'élan de jeunesse; il y a telle phrase dans le procès des ducs qui court avec une prestesse de gamin. La mère de Saint-Simon ne voulait pas donner des lettres d'état, essentielles pour l'affaire. ?Je l'interrompis et lui dis que c'était chose d'honneur, indispensable, promise, attendue sur-le-champ, et, sans attendre de réplique, pris la clef du cabinet, puis les lettres d'état, et cours encore.? Cependant le duc de Richelieu arrivait avec un lavement dans le ventre, fort pressé, comme on peut croire, ?exorcisant? madame de Saint-Simon entre deux opérations et du plus vite qu'il put: voilà Molière et le malade imaginaire.--Ces gaietés ne sont point le ton habituel; la sensibilité exaltée n'est comique que par accès; elle tourne vite au tragique: elle est naturellement effrénée et terrible. Saint-Simon a des fureurs de haine, des ricanements de vengeance; des transports de joie, des folies d'amour, des abattements de douleur, des tressaillements d'horreur que nul, sauf Shakspeare, n'a surpassés. On le voit les yeux fixes et le corps frissonnant, lorsque, dans le suprême épuisement de la France, Desmarets établit l'imp?t du dixième: ?La capitation doublée et triplée à la volonté arbitraire des intendants des provinces, les marchandises, et les denrées de toute-espèce imposées en droit au quadruple de leur valeur, taxes d'aides et autres de toute nature et sur toutes sortes de choses: tout cela écrasait, nobles et roturiers, seigneurs et gens d'église, sans que ce qu'il en revenait au roi p?t suffire, qui tirait le sang de ses sujets sans distinction, qui en exprimait jusqu'au pus. On compte pour rien la désolation de l'imp?t même dans une multitude d'hommes de tous les états si prodigieuse, la combustion des familles par ces cruelles manifestations et par cette lampe portée sur leurs parties les plus honteuses. Moins d'un mois suffit à la pénétration de ces humains commissaires chargés de rendre leur compte de ce doux projet au Cyclope qui les en avait chargés. Il revit avec eux l'édit qu'ils en avaient dressé, tout hérissé de foudre contre les délinquants. Ainsi fut baclée cette sanglante affaire, et immédiatement après signée, scellée, enregistrée parmi les sanglots suffoqués.? L'homme qui écrit ainsi palpite et frémit tout entier comme un prisonnier devant des cannibales; le mot y est: ?Bureau d'anthropophages.? Mais l'effet est plus sublime encore, quand le cri de la justice violentée est accru par la furieuse clameur de la souffrance personnelle. L'impression que laisse sa vengeance contre Noailles est accablante; il semble que lié et fixe, on sente crouler sur soi l'horrible poids d'une statue d'airain. Trahi, presque perdu par un mensonge, décrié auprès de toute la noblesse, il fit ferme, démentit l'homme publiquement ?de la manière la plus diffamatoire et la plus démesurée,? sans relache, en toute circonstance, pendant douze ans. ?Noailles souffrit tout en coupable écrasé sous le poids de son crime. Les insultes publiques qu'il essuya de moi sans nombre ne le rebutèrent pas. Il ne se lassa jamais de s'arrêter devant moi chez le régent, en entrant et sortant du conseil de régence, avec une révérence extrêmement marquée, ni moi de passer droit sans le saluer jamais, et quelquefois détourner la tête avec insulte. Et il est très-souvent arrivé que je lui ai fait des sorties chez M. le duc d'Orléans et au conseil de régence, dès que j'y trouvais le moindre jour, dont le ton, les termes et les manières effrayaient l'assistance, sans qu'il répond?t jamais un seul mot; mais il rougissait, il palissait et n'osait se commettre à une nouvelle reprise. Cela en vint au point qu'un jour, au sortir d'un conseil où, après l'avoir forcé de rapporter une affaire que je savais qu'il affectionnait, et sur laquelle je l'entrepris sans mesure et le fis tondre, je lui dictais l'arrêt tout de suite, et le lisais après qu'il l'eut écrit, en lui montrant avec hauteur et dérision ma défiance et à tout le conseil; il se leva, jeta son tabouret à dix pas, et lui qui en place n'avait osé répondre un seul mot que de l'affaire même avec l'air le plus embarrassé et
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