Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à lhistoire de lempereur Napoléon | Page 2

Duc de Rovigo
Les hommes qui étaient à la tête de
ce complot étaient à peu près les mêmes que ceux qui, quinze jours
après, se mirent en mouvement pour faire rappeler la maison de
Bourbon, avec laquelle ils répugnaient de s'allier, ou du moins n'avaient
pas encore de rapports bien arrêtés. Le prince Joseph non seulement
rejeta l'insinuation, mais il démontra à ceux qui la lui présentaient le
danger d'une entreprise dont le résultat le moins fâcheux devait détruire
les dernières ressources qui restaient à l'empereur, dont l'ombre nous
défendait encore; qu'elle pouvait même engendrer la guerre civile, et
mettre les Français aux prises les uns avec les autres; qu'au surplus,
quelles que fussent les chances, on se trompait beaucoup, si on le
croyait capable de se ranger parmi les ennemis de son frère. Il ajouta
qu'il voulait bien oublier cette proposition, mais il défendit qu'on lui en
parlât davantage, ou que l'on y donnât aucune suite, parce qu'alors, il en
ferait poursuivre les auteurs.
Le prince de Bénévent avec l'archi-trésorier et les ministres restèrent à
Paris. Le moment approchait où cette longue agonie allait se terminer.
Le départ de l'impératrice ne pouvait rester ignoré des ennemis, qui
étaient aux portes de la capitale. Il fut aussi le signal d'une quantité
d'autres départs particuliers qui avaient tardé jusqu'à ce moment à
s'effectuer, en sorte que, depuis la barrière de Paris jusqu'à Chartres, ce
n'était plus, pour ainsi dire, qu'un immense convoi de voitures de toute
espèce. On ne peut se faire une idée de ce spectacle lorsqu'on ne l'a pas
vu. Que l'on se figure le désordre qui accompagnait cette scène de
désolation, et l'on sera moins étonné des conséquences dont elle a été
suivie.
Paris était dans un état de désertion vers le midi, et toute la population
du voisinage y affluait vers le nord. Cependant les ennemis, qui avaient,
les jours précédens, poussé sur la route de Meaux le petit corps aux
ordres du général Compans, venaient de le rejeter encore jusque sur les
approches de la barrière de Bondy, entre l'étang de la Villette et les
hauteurs de Ménilmontant. Les souverains alliés étaient là en personne.

De leur côté, les corps des maréchaux Marmont et Mortier, appelés au
secours de la capitale, étaient arrivés à Saint-Mandé la nuit qui précéda
l'attaque. Le soir, ils prirent leur positions de bataille: Marmont appuya
sa droite à la Marne, et développa à sa gauche les troupes de Mortier
sous les hauteurs de Montmartre. Il était chargé de la direction des
corps[1]; il avait fait reconnaître Romainville, et croyait, sur la foi des
rapports qui lui avaient été faits, que les alliés n'y avaient pas paru: il fit
marcher sur le village. Les Russes l'occupaient en force. L'action
s'engagea, et devint bientôt des plus vives. Le duc de Padoue, qui
conduisait la droite, ne put se soutenir: atteint, au milieu de la mêlée,
d'un coup de feu qui le mit hors de combat, il fut remplacé par le
général Lucotte, qui vint se reformer au cimetière du P. Lachaise. Ce
mouvement rétrograde découvrait tout-à-fait la route qui va de
Belleville à Saint-Mandé. Le duc de Raguse fut obligé d'abandonner
l'attaque de Romainville pour venir en toute hâte couvrir le premier de
ces deux villages. Il était temps, car le général Compans avait
abandonné la position qu'il occupait dans le bassin de la Villette pour se
retirer plus en arrière. Les Russes, qui n'étaient plus contenus par nos
troupes, s'étaient portés en avant, et débouchaient déjà sur sa droite, que
le duc de Raguse ignorait encore la retraite de son lieutenant. Il fit
néanmoins bonne contenance, et réussit à opérer son mouvement.
Pendant que ces choses se passaient, Paris était témoin d'une scène qui
fait la honte de ceux qui en étaient les auteurs. Il y avait plus d'un mois
que la garde nationale demandait avec instance qu'on lui délivrât des
fusils de munition, au lieu de ces piques ridicules avec lesquelles on
l'avait en grande partie armée; elle avait renouvelé plusieurs fois sa
demande sans pouvoir rien obtenir. J'en écrivis à l'empereur, qui me
répondit: «Vous me faites une demande ridicule; l'arsenal est plein de
fusils, il faut les utiliser.»
J'avais montré cette lettre au prince Joseph et au ministre de la guerre.
Celui-ci m'avait répondu qu'il n'avait que très peu de fusils, qu'il les
conservait pour l'armée, qui en avait besoin à chaque instant, en sorte
que je ne pus rien obtenir. Ce ne fut qu'au moment où l'on attaquait les
troupes postées sous les murailles de Paris, que le duc de Feltre
consentit à livrer à la garde nationale quatre mille fusils au lieu de vingt

mille dont elle avait besoin; encore, pour couronner l'oeuvre, ne
distribua-t-on les quatre mille fusils que lorsque les différentes légions
étaient déjà réunies. Les chariots chargés de
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