ni aux catastrophes; ne tenant compte ni du délire universel, ni de la fièvre républicaine dont vingt millions de Fran?ais éprouvaient le redoublement.
Je m'ensevelis d'abord dans le comité d'instruction publique, où je me liai avec Condorcet, et par lui avec Vergniaud. Ici je dois retracer une circonstance qui se rapporte à l'une des crises les plus sérieuses de ma vie. Par un hasard bizarre, j'avais connu Maximilien Robespierre à l'époque où je professais la philosophie dans la ville d'Arras. Je lui avais même prêté de l'argent pour venir s'établir à Paris lorsqu'il fut nommé député à l'Assemblée nationale. Quand nous nous retrouvames à la Convention, nous nous v?mes d'abord assez souvent; mais la diversité de nos opinions, et peut-être plus encore de nos caractères, ne tarda pas à nous diviser.
Un jour, à l'issue d'un d?ner qui avait eu lieu chez moi, Robespierre se mit à déclamer avec violence contre les Girondins, apostrophant Vergniaud qui était présent. J'aimais Vergniaud, grand orateur et homme simple. Je m'approchai de lui; et m'avan?ant vers Robespierre: ?Avec une pareille violence, lui dis-je, vous gagnerez s?rement les passions, mais vous n'aurez jamais ni estime ni confiance.? Robespierre piqué se retira, et l'on verra bient?t jusqu'où cet homme atrabilaire poussa contre moi l'animosité.
Pourtant je ne partageais point le système politique du parti de la Gironde, dont Vergniaud passait pour être le chef. Il me semblait que ce système tendait à disjoindre la France, en l'ameutant par zones et par provinces contre Paris. J'apercevais là un grand danger, ne voyant de salut pour l'état que dans l'unité et l'indivisibilité du corps politique. Voilà ce qui m'entra?na dans un parti dont je détestais au fond les excès, et dont les violences marquèrent les progrès de la révolution. Que d'horreurs dans l'ordre de la morale et de la justice! mais nous ne voguions pas dans des mers calmes.
Nous étions en pleine révolution, sans gouvernail, sans gouvernement, dominés par une assemblée unique, sorte de dictature monstrueuse, enfantée par la subversion, et qui offrait tour-à-tour l'image de l'anarchie d'Athènes et du despotisme ottoman.
C'est donc ici un procès purement politique entre la révolution et la contre-révolution. Voudrait-on le juger selon la jurisprudence qui règle les décisions des tribunaux criminels ou de police correctionnelle? La Convention, malgré ses déchiremens, ses excès, ses décrets forcenés, ou peut-être à cause même de ses décrets, a sauvé la patrie au-delà de ses limites intégrales. C'est un fait incontestable, et, sous ce rapport, je ne récuse point ma participation à ses travaux. Chacun de ses membres, accusés devant le tribunal de l'histoire, peut se renfermer dans les limites de la défense de Scipion, et répéter avec ce grand homme: ?J'ai sauvé la république, montons au Capitole en rendre graces aux Dieux!?
Il est pourtant un vote qui reste injustifiable, j'avouerai même, sans honte comme sans faiblesse, qu'il me fait conna?tre le remords. Mais j'en prends à témoin le Dieu de la vérité, c'était bien moins le monarque au fond que j'entendis frapper (il était bon et juste), que le diadème, alors incompatible avec le nouvel ordre de choses. Et puis, le dirai-je, car les révélations excluent les réticences, il me paraissait alors, comme à tant d'autres, que nous ne pourrions inspirer assez d'énergie à la représentation et à la masse du peuple, pour surmonter la crise, qu'en outrant toutes les mesures, qu'en dépassant toutes les bornes, qu'en compromettant toutes les sommités révolutionnaires. Telle fut la raison d'état qui nous parut exiger cet effrayant sacrifice. En politique, l'atrocité aurait-elle aussi parfois son point de vue salutaire?
L'univers aujourd'hui ne nous en demanderait pas compte, si l'arbre de la liberté, poussant des racines profondes, e?t résisté à la hache de ceux mêmes qui l'avaient élevé de leurs mains. Que Brutus ait été plus heureux dans la construction du bel édifice qu'il arrosa du sang de ses fils, comme penseur je le con?ois: il lui fut plus facile de faire passer les faisceaux de la monarchie dans les mains d'une aristocratie déjà constituée. Les représentans de 1793, en immolant le représentant de la royauté, le père de la monarchie, pour élever une république, n'eurent pas le choix dans les moyens de reconstruction. Le niveau de l'égalité était déjà si violemment établi dans la nation, qu'il fallut léguer l'autorité à une démocratie flottante: elle ne sut travailler que sur un sable mouvant.
A présent que je me suis condamné comme juge et partie, au moins qu'il me soit permis de faire valoir, dans l'exercice de mes fonctions conventionnelles, quelques circonstances atténuantes. Envoyé en mission dans les départemens, forcé de me rapprocher du langage de l'époque, et de payer un tribut à la fatalité des circonstances, je me vis contraint de mettre à exécution la loi contre les suspects. Elle ordonnait l'emprisonnement en masse des prêtres et des nobles. Voici ce que j'écrivis, voici ce que
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