L'?le des rêves, by Louis Ulbach
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Title: L'?le des rêves Aventures d'un Anglais qui s'ennuie
Author: Louis Ulbach
Illustrator: Rouargue frères
Release Date: August 6, 2006 [EBook #18995]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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[Illustration: Rouargue frères del. et sc. Imp. F. Chardon a?né. Voilà Monsieur, dit le peintre, toute la population de l'?le.]
L'ILE DES RêVES
AVENTURES
D'UN ANGLAIS QUI S'ENNUIE
PAR
LOUIS ULBACH
ILLUSTRATIONS PAR MM. ROUARGUE FRèRES
[Illustration]
PARIS
MORIZOT, LIBRAIRE-éDITEUR
3; RUE PAVéE-SAINT-ANDRé
1860
Paris.--Imprimerie P.-A. BOURDIER et Cie, rue Mazarine, 30.
Tous droits réservés
SIR OLLIVER A LA RECHERCHE DES éMOTIONS.
I
Vue de face, de profil et de trois quarts d'un véritable loup de mer.
Le Cyclope était un magnifique navire, appartenant à MM. Poussin et Cie, armateurs au Havre. Il n'avait pas été lancé à la mer un vendredi, ni à la date du 13. Rien ne lui avait donc porté malheur; et depuis une quinzaine d'années qu'il naviguait, il faisait la fortune de son propriétaire, la joie des matelots qui le servaient, et l'orgueil du capitaine Michel qui le commandait.
Le capitaine Michel passait pour un véritable loup de mer. Cela ne veut pas dire qu'il f?t plus féroce qu'un mouton, et que le Petit Chaperon-Rouge e?t couru avec lui d'autres dangers que celui de voir manger sa galette; car on sait que les loups de mer ressemblent aux loups de terre comme les veaux marins ressemblent aux veaux de la prairie, et même aux veaux de M. Troyon. Le capitaine était donc un brave homme de loup; il avait, à quelque distance du Havre, dans une jolie petite maison, aux trois quarts payée par ses économies, laissé la louve, sa femme, sous les traits de la meilleure mère de famille. Madame Michel élevait deux filles dans la crainte de Dieu et de l'Océan; et le capitaine aspirait après le moment où il placerait la dot de ses héritières, les véritables patrons qui le fissent naviguer. Jusqu'à ce jour-là, il faisait son métier honnêtement, ponctuellement. Personne ne surveillait mieux que lui la manoeuvre. Rigide envers les matelots, toujours le front plissé quand il commandait, il s'enfermait dans sa cabine pour baiser les lettres de sa femme et les petites pattes de mouche de ses filles. On ne l'avait jamais vu palir devant une tempête; mais il savait bien, lui, pourquoi ses cheveux avaient grisonné si vite, et, malgré sa reconnaissance tempérée pour la mer, il s'était bien juré, s'il avait jamais un fils, de lui interdire les voyages au long cours.
Le ciel, qui entretenait des intelligences secrètes avec la bonne madame Michel, n'avait pas voulu mettre le marin dans le cas de tenir un serment injurieux pour sa profession; aussi ne lui avait-il envoyé que des filles. Mais le capitaine Michel, pour ne pas en avoir le démenti, avait juré alors que jamais ses filles n'épouseraient un marin. C'était une fa?on indirecte de persister dans son serment et dans cette rancune obligée que nous avons tous, plus ou moins, contre notre plus chère profession.
Encore quelques voyages, et le capitaine inaugurait enfin, pour ne plus la quitter, une de ces belles paires de pantoufles que la sollicitude des demoiselles Michel lui brodait inutilement pour chaque anniversaire solennel. Plus de séparation, plus de hasard lointain; il s'enracinait dans son petit jardin, il s'incrustait dans son fauteuil, il ne jurait plus que pour rire et pour faire peur à la vieille servante. Sans doute, il lui en co?terait bien un peu de quitter le Cyclope, qui filait si gentiment ses douze noeuds à l'heure, et qui se garait tout seul des écueils, comme s'il avait eu deux yeux tout ouverts. Mais le capitaine avait pris depuis longtemps ses précautions; la séparation ne devait pas être absolue, complète, et l'effigie du Cyclope, puissamment coloriée pour résister à l'action du soleil, bravait les regards et défiait l'oubli dans la salle à manger future du capitaine.
Il ne désespérait pas non plus d'avoir un jour (mais c'était là presque une folie!), pour le guéridon de marbre de son salon, un modèle microscopique en bois du cher Cyclope, avec tous ses gréements, et un petit bonhomme d'un sou, placé au pied du grand mat, le bras tendu, pour rappeler toujours à M. Michel le capitaine Michel. C'était une surprise qu'il se ménageait à lui-même. Il ne se sentait pas d'aise à la pensée de ce petit joujou, naviguant sous un
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