lui donnaient une heure pour rendre justice à Sawyer; et qu'au delà de cette heure ils se rendraient justice à eux mêmes, si justice ne leur était pas faites.
Lorsque l'heure fut écoulée, le juge Thom avait essayé de prétexter que le procès n'était pas fini. Mais Riel, père, s'était écrié: ?Le temps accordé est écoulé. Le procès n'a pas sa raison d'être. L'arrestation de Sawyer a été faite en violation de tout principe de justice, et je déclare que dès ce moment Sawyer est libre.?
Devant les acclamations frénétiques des Métis, ni le gouvernement, ni le juge, ni les magistrats n'avait osé résister. Sawyer était sorti libre de l'audience. Riel obligea la compagnie à lui rendre les effets qu'on lui avait confisqués; et, de plus il avertit la compagnie qu'à l'avenir les colons entendaient avoir le commerce libre. Tous les Métis crièrent à la fois avec enthousiasme: ?Le commerce est libre! le commerce est libre! vive la liberté!? en présence du juge, du gouverneur et des magistrats atterrés; et, de ce jour, le monopole oppressif de la Baie d'Hudson cessa d'exister dans le Nord-Ouest.
On dit que l'histoire se renouvelle sans cesse. Près de quarante ans se sont écoulés. Il y a encore au Nord-Ouest des tyrans et des juges prévaricateurs. Le juge Thom s'appelle aujourd'hui Richardson, et son nom est associé aux malédictions de tout un peuple. Mais il y a aussi de nobles coeurs. Gabriel Dumont a obligé ses vainqueurs eux-mêmes à lui rendre hommage; et Louis Riel a témoigné, par sa vie et par sa mort, qu'il était le digne fils de son père.
Louis Riel était né à la Rivière Rouge, en 1844, du mariage de M. Riel, père, avec Julie de la Gimodière. Sa mère, que l'agonie de son fils vient de rendre folle, était née à Sorel. Elle est Canadienne-fran?aise de père et de mère. Son grand-père Riel était Canadien-fran?ais et sa grand'mère Métisse de race fran?aise. Louis Riel est donc des n?tres. Métis, il 'était de coeur et d'ame; mais il n'avait que quelques gouttes de sang montagnais dans les veines. La naissance l'avait fait Canadien-fran?ais, et son dévouement à une cause proscrite cimentait l'union de deux races soeurs. Nos ennemis ne l'ont jamais oublié, et le crime qu'il vient d'expier à Regina ne consiste pas, aux yeux de ses bourreaux, à s'être insurgé, en compagnie d'Anglais qu'on s'est d'ailleurs empressé de mettre en liberté. Son véritable crime était de représenter l'élément fran?ais dans le Nord-Ouest en face d'un gouvernement qui a décrété que le Nord-Ouest serait une terre anglaise.
Louis Riel avait été élevé sous la direction de Mgr. Taché, et grace à la protection de Madame Masson, mère de notre lieutenant-gouverneur.
Passé de là au collège de Montréal, il avait eu le malheur de perdre son père, le 21 janvier 1864, au moment où il commen?ait son cours de philosophie; et, après avoir terminé ses études, il était revenu dans la prairie, prendre son r?le de chef de famille, sans se douter des destinées qui l'appelaient à faire retentir deux fois l'Amérique de son nom.
Tout le monde sait quelle part il prit à l'insurrection de 1870, et quelle fut la cause de cette insurrection, la plus juste de toutes celles que l'histoire ait jamais eu à enregistrer.
L'union imposée en 1840 au Canada-Fran?ais avec les Anglais d'Ontario, ne pouvait plus tenir. Par une conséquence que ses auteurs n'avaient pas prévue, cette union dirigée contre la race fran?aise, avait assuré dans le parlement uni, la prépondérance de l'élément canadien-fran?ais; et cette prépondérance était telle, que la majorité conservatrice de la province de Québec avait pu faire subir aux Anglais d'Ontario des ministres, repoussés par le corps électoral de cette province. Il est bon de rappeler ce fait, en présence d'un régime sous lequel ce sont les Anglais d'Ontario qui nous gouvernent, qui nous imposent leur gouvernement, et qui viennent de mettre Riel à mort, malgré le voeu unanime du peuple canadien-fran?ais. Triste résultat de la Confédération, de la politique de Sir John A. Macdonald et de l'insignifiance servile de Sir Hector Langevin! Mais, en 1865, la situation créée par l'acte d'union ne pouvait plus se prolonger; les deux provinces n'étaient d'accord sur rien. La solution vraiment logique e?t d? consister à rappeler purement et simplement l'acte d'union et à rendre à chacun sa liberté. Mais alors, personne n'y songea. Les ministres conservateurs avaient d'autres visées; et sous leur influence, le Canada s'abandonna à la dangereuse ambition de devenir un grand état. C'est ainsi que la Confédération fut faite. Comme Ontario et Québec ne pouvaient s'entendre, on leur adjoignit pour les départager, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-écosse, qui devait s'augmenter plus tard de la Colombie Anglaise et de l'?le du Prince-Edouard. Comment nos hommes d'état ne s'aper?urent-ils pas que, par cette adjonction, la province de Québec passait de la
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