Littérature et Philosophie mêlées | Page 2

Victor Hugo
aux hommes, il a pensé
que ce ne serait peut-être pas un spectacle sans enseignement que le
développement d'un esprit sérieux et droit qui n'a encore été
directement mêlé à aucune chose politique et qui a silencieusement
accompli toutes ses révolutions sur lui-même, sans autre but que la
satisfaction de sa conscience. Ceci est donc avant tout une oeuvre de
probité. Le premier de ces deux volumes ne contient que deux divisions;
l'une a pour titre: Journal des idées, des opinions et des lectures d'un
jeune jacobite de 1819; l'autre: Journal des idées et des opinions d'un
révolutionnaire de 1830. Comment et par quelle série d'expériences
successives le jacobite de 1819 est-il devenu le révolutionnaire de 1830,
c'est ce que l'auteur écrira peut-être un jour; et cette toute modeste
Histoire des révolutions intérieures d'une opinion politique honnête ne
sera peut-être pas un appendice inutile à la grande histoire des
révolutions générales de notre temps. Pourquoi, en effet, ne pas
confronter plus souvent qu'on ne le fait les révolutions de l'individu
avec les révolutions de la société? Qui sait? la petite chose éclaire
quelquefois la grande. En attendant qu'il essaye ce travail tout à la fois
psychologique et historique, individuel et universel, il croit devoir
publier comme document, et absolument tels qu'ils ont été écrits chacun
dans leur temps, ces deux journaux d'idées, l'un de 1819, l'autre de
1830, faits tous deux par le même homme, et si différents.
Ce ne sont pas des faits qu'il faut chercher dans ces journaux. Il n'y en a
pas. Nous le répétons, ce sont des idées. Des idées à l'état de germe
dans le premier, à l'état d'épanouissement dans le second.

Le plus ancien de ces deux journaux surtout, celui qui occupe les deux
cents premières pages de ce volume, a besoin d'être lu avec une
extrême indulgence et sans que le lecteur en perde un seul instant la
date de vue, 1819. L'auteur l'offre ici, non comme oeuvre littéraire,
mais comme sujet d'étude et d'observation pour les esprits attentifs et
bienveillants qui ne dédaignent pas de chercher dans ce qu'un enfant
balbutie les rudiments de la pensée d'un homme. Aussi, pour que cette
partie du livre ait du moins le mérite de présenter une base sincère aux
études de ce genre, a-t-on eu soin de l'imprimer, sans y rien changer,
absolument telle qu'on l'a recueillie, soit dans des publications du temps
aujourd'hui oubliées, soit dans des dossiers de notes restées manuscrites.
Ce recueil représente durant deux années, de l'âge de seize ans à l'âge
de dix-huit ans, l'état de l'esprit de l'auteur, et, par assimilation, autant
qu'un échantillon aussi incomplet peut permettre d'en juger, l'état de
l'esprit d'une fraction assez notable de la génération d'alors. Ce n'est
même que parce qu'en le généralisant ainsi, il peut offrir, jusqu'à un
certain point, cette sorte d'intérêt, qu'on a cru qu'il n'était peut-être pas
tout a fait inutile de le présenter au public. En se plaçant à ce point de
vue, tout ce que renferme ce Journal des idées d'un royaliste adolescent
d'il y a quinze ans, acquiert, à défaut de la valeur biographique qu'un
nom plus considérable en tête de ce livre pourrait seul lui donner, cette
sorte de valeur historique qui s'attache à tous les documents honnêtes
où se retrouve la physionomie d'une époque, de quelque part qu'ils
viennent. Il y a de tout dans ce journal. C'est le profil à demi effacé de
tout ce que nous nous figurions en 1819. C'est, comme dans nos
cerveaux alors, le dialogue de tous les contraires. Il y a des recherches
historiques et des rêveries, des élégies et des feuilletons, de la critique
et de la poésie; pauvre critique! pauvre poésie surtout! Il a de petits vers
badins et de grands vers pleureurs; d'honorables et furieuses
déclamations contre les tueurs de rois; des épîtres où les hommes de
1793 sont égratignés avec des épigrammes de 1754, espèces de petites
satires sans poésie qui caractérisent assez bien le royalisme voltairien
de 1818, nuance perdue aujourd'hui. Il y a des rêves de réforme pour le
théâtre et des voeux d'immobilité pour l'état; tous les styles qui
s'essayent à la fois, depuis le sarcasme du pamphlet jusqu'à l'ampoule
oratoire; toutes sortes d'instincts classiques mis au service d'une pensée
d'innovation littéraire; des plans de tragédies faits au collège; des plans

de gouvernement faits à l'école. Tout cela va, vient, avance, recule, se
mêle, se coudoie, se heurte, se contredit, se querelle, croit, doute,
tâtonne, nie, affirme, sans but visible, sans ordre extérieur, sans loi
apparente; et cependant, au fond de toutes ces choses, nous le croyons
du moins, il y a une loi, un ordre, un but. Au fond, comme à la surface,
il y a ce qui fera peut-être pardonner à l'auteur l'insuffisance du talent et
la faillibilité de l'esprit, droiture,
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