Lillustre comédien, ou Le martyre de Sainct Genest | Page 9

Nicolas-Marc Desfontaines
cette haute constance.
GENEST.
Tu peux dés à present en faire experience. Commande à tes boureaux qu'ils m'accablent de fers.
DIOCLETIAN.
Perfide, ils t'apprendront le respect que tu pers, Si tu ne te resous à changer de langage.
GENEST.
On ne change jamais quand on a du courage.
DIOCLETIAN.
Si faut-il toutesfois ou changer ou perir.
GENEST.
He! bien me voila prest, Tyran, allons mourir. Apportez, apportez ces bienheureuses chaines, Instrumens de ma gloire ainsi que de mes peines,
Luy rejettant son Escharpe.
Et reprends desormais ces liens odieux, Qui me rendoient naguere esclave de tes Dieux. Que ceux qui n'ont pas veu les divines merveilles, Qui viennent de ravir mes yeux & mes oreilles, De tes vaines grandeurs se rendent partizans, Et d'un oeil envieux regardent tes presens. Pour moy qui viens de voir de plus illustres marques, Du pouvoir de celuy qui commande aux Monarques, Je n'ay plus de desirs qui soient si criminels; Tes dons sont passagers, les siens sont eternels, Ses faveurs sont d'un Dieu, tes caresses d'un homme; Et les honneurs du Ciel valent bien ceux de Rome. Parle donc, Empereur, & haste mes tourmens; Tu differes ma gloire, & mes contentemens, Fay souffrir à mon corps les peines les plus dures, Irrite tes boureaux, invente des tortures, Et par un sentiment qui ne t'est pas nouveau Qu'un deluge de sang te venge d'un peu d'eau, Dont le divin effect m'a donné tant de graces, Qu'à tes yeux aujourd'huy je brave tes menaces.
DIOCLETIAN.
Tu me braves, mutin, mais de ta trahison, Et la flame, & le fer me feront la raison! Qu'on l'oste de mes yeux, soldats, que l'on l'entraine; Faictes qu'en mesme temps on l'applique à la gesne, Et qu'il ressente là de si vives douleurs, Qu'il estime la mort moindre que ses malheurs. Va les suivre, Rutile, & voy s'il est possible, De reprimer l'orgueil de ce coeur invincible: Menace, flatte, prie, importune, promets, Offre luy des tresors, ouy, je te le permets, Des charges, des honneurs, & tout ce qui dans Rome, Peut le mieux assouvir l'esperance d'un homme. S'il se veut reconnoistre, & quitter son erreur, Son remords peut encor desarmer ma fureur; Mais s'il s'obstine plus à faire le rebelle: Qu'on l'expose aux ardeurs d'une flame cruelle, Qui sur son corps perfide agissant peu à peu, Avec mille douleurs le brule à petit feu.
RUTILE.
J'observeray cét ordre.
DIOCLETIAN.
Allez.

SCENE III.
Diocletian. Aquillin. Anthenor. Pamphilie. Luciane. Aristide.
DIOCLETIAN.
Lasches complices! C'est vous que je destine aux plus aspres suplices: Vous l'avez suborné, vos propos l'ont seduit, Mais de vos trahisons vous recevrez le fruit, Ouy, je me vengeray d'un si sensible outrage, Sans qu'on respecte en vous ny le sexe, ny l'age, Sans qu'aucune pitié flechisse mon couroux. Aquillin.
LUCIANE.
Ha! Seigneur, j'embrasse tes genoux.
DIOCLETIAN.
Importune.
ANTHENOR.
Cesar.
DIOCLETIAN.
C'est en vain que vos larmes, à ma juste rigueur pensent oster les armes; Apres m'avoir bravé dans mon propre Palais, Quelle grace osez vous esperer desormais? Auriez vous bien pensé qu'apres tant d'insolence Il suffise aujourd'huy d'implorer ma clemence? Non, non, des crimes tels ne sont jamais remis Aussi facilement qu'ils ont esté commis, Et vostre impunité feroit des temeraires Si je ne vous donnois des chastimens severes, Il faut donc...
PAMPHILIE.
Ha, Cesar! Quel extreme malheur Nous peut rendre aujourd'huy suspects à ta grandeur? Qu'avons-nous fait, Seigneur, qui chocque ta puissance? Sommes-nous criminels par nostre obe?ssance? Tu nous as commandé, nous t'avons obey: Suivre tes volontez est-ce t'avoir trahy? Quel est donc le forfait qui nous rend si coupables? De quelles trahisons nous penses-tu capables? Nous n'avons point chocqué ny les Dieux ny l'Estat, Et nostre seul malheur est tout nostre attentat. Ce n'est pas que je veuille en parlant de la sorte Arrester les effets du courroux qui t'emporte Au deplorable poinct où m'a mise le sort, Je ne me promets plus de calme ny de port, Et je croirois avoir une trop lasche envie Si ma voix te parloit en faveur de ma vie: Non, n'attends point de moy des sentimens si bas; Prononce si tu veux l'arrest de mon trespas, Tu me verras mourir & constante & contente; Mais espargne, ? Cesar, une troupe innocente, Qui dans tous ses desseins a tousjours prudemment Regardé son devoir, & ton contentement.
DIOCLETIAN.
Quoy donc, vostre devoir consiste à me desplaire? à promettre une chose, & tenir le contraire? à venir suborner un sujet à mes yeux, Et le forcer enfin d'abandonner nos Dieux? Vous appellez peut estre une telle impudence Un divertissement, un jeu plein d'innocence? Mais croyez si ce traict se passe impunément Que je suis sans memoire & sans ressentiment: Non, non, perfides, non; apres un tel outrage Ne vous figurez pas que je sois sans courage; Ainsi que vostre sort vostre crime vous joint, Qu'un destin different ne vous separe point, Vous avez mesme but & mesme intelligence, Et vous esprouverez une mesme vengeance.
ARISTIDE.
Cesar, au nom des Dieux, escoute moy parler, Voy quels sont les objets
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