Lhôtel hanté | Page 2

Wilkie Collins
posée sur le bras du docteur.
«Vous avez consolé bien des malheureuses dans votre vie, dit-elle. Consolez-en une de
plus aujourd'hui.»
Sans attendre de réponse, elle se dirigea de nouveau vers le cabinet de consultation.
Le docteur la suivit et ferma la porte. Il la fit asseoir sur un fauteuil, en face de la fenêtre.
Le soleil, ce qui est rare à Londres, était éblouissant cet après-midi-là. Une lumière
éclatante l'enveloppa. Ses yeux la supportèrent avec la fixité des yeux d'un aigle. La
pâleur uniforme de son visage paraissait alors plus effroyablement livide que jamais.
Pour la première fois depuis bien des années, le docteur sentit son pouls battre plus fort
en présence d'un malade.
Elle avait demandé qu'on l'écoutât, et maintenant elle semblait n'avoir plus rien à dire.
Une torpeur étrange s'était emparée de cette femme si résolue. Forcé de parler le premier,
le docteur lui demanda simplement, avec la phrase sacramentelle, ce qu'il pouvait faire
pour elle. Le son de cette voix parut la réveiller; fixant toujours la lumière, elle dit tout à
coup:
«J'ai une question pénible à vous faire.
--Qu'est-ce donc?»
Son regard allait doucement de la fenêtre au docteur. Sans la moindre trace d'agitation,
elle posa ainsi sa pénible question:
«Je veux savoir si je suis en danger de devenir folle?»
À cette demande, les uns auraient ri, d'autres se seraient alarmés. Le docteur Wybrow, lui,
n'éprouva que du désappointement. Était-ce donc là le cas extraordinaire qu'il avait espéré
en se fiant légèrement aux apparences? Sa nouvelle cliente n'était-elle qu'une femme
hypocondriaque dont la maladie venait d'un estomac dérangé et d'un cerveau faible?
«Pourquoi venez-vous chez moi? lui demanda-t-il brusquement. Pourquoi ne
consultez-vous pas un médecin spécial, un aliéniste?»
Elle répondit aussitôt:
«Si je ne vais pas chez un de ces médecins-là, c'est justement parce qu'il serait un
spécialiste et qu'ils ont tous la funeste habitude de juger invariablement tout le monde
d'après les mêmes règles et les mêmes préceptes. Je viens chez vous, parce que mon cas
est en dehors de toutes les lois de la nature, parce que vous êtes fameux dans votre art
pour la découverte des maladies qui ont une cause mystérieuse. Êtes-vous satisfait?»
Il était plus que satisfait. Il ne s'était donc pas trompé, sa première idée avait été la bonne,
Cette femme savait bien à qui elle s'adressait. Ce qui l'avait élevé à la fortune et à la
renommée lui, docteur Wybrow, c'était la sûreté de son diagnostic, la perspicacité, sans
rivale parmi ses confrères, avec laquelle il prévoyait les maladies dont ceux qui venaient
le consulter pouvaient être atteints dans un temps plus ou moins éloigné.
«Je suis à votre disposition, répondit-il, je vais essayer de découvrir ce que vous avez.»
Il posa quelques-unes de ces questions que les médecins ont l'habitude de faire; la
patiente répondit promptement et avec clarté; sa conclusion fut que cette dame étrange
était, au moral comme au physique, en parfaite santé. Il se mit ensuite à examiner les
principaux organes de la vie. Ni son oreille ni son stéthoscope ne lui révélèrent rien
d'anormal. Avec cette admirable patience et ce dévouement à son art qui l'avaient
distingué dès le temps où il étudiait la médecine, il continua son examen, toujours sans
résultat. Non seulement il n'y avait aucune prédisposition à une maladie du cerveau, mais
il n'y avait même pas le plus léger trouble du système nerveux.

«Aucun de vos organes n'est atteint, dit-il; je ne peux même pas me rendre compte de
votre extrême pâleur. Vous êtes pour moi une énigme.
--Ma pâleur n'est rien, répondit-elle avec un peu d'impatience. Dans ma jeunesse, j'ai
failli mourir empoisonnée; depuis, mes couleurs n'ont jamais reparu, et ma peau est si
délicate qu'elle ne peut supporter le fard. Mais ceci n'a aucune importance. Je voulais
avoir votre opinion, je croyais en vous, et maintenant je suis toute désappointée.» Elle
laissa tomber sa tête sur sa poitrine.--Et c'est ainsi que tout cela finit, dit-elle en
elle-même amèrement.
Le docteur parut touché; peut-être serait-il plus exact de dire que son amour-propre de
médecin était un peu blessé.
«Cela peut encore se terminer comme vous le voulez, dit-il, si vous prenez la peine de
m'aider un peu.»
Elle releva la tête. Ses yeux étincelaient.
«Expliquez-vous; comment puis-je vous aider?
--Avouez, madame, que vous venez chez moi un peu comme un sphinx. Vous voulez que
je découvre l'énigme avec le seul secours de mon art. La science peut faire beaucoup,
mais non pas tout. Voyons, quelque chose doit vous être arrivé, quelque chose qui n'a
aucun rapport à votre état de santé et qui vous a effrayée; sans cela, vous ne seriez jamais
venue me consulter. Est-ce la vérité?
--C'est la vérité, dit-elle vivement. Je recommence à avoir confiance en vous.
--Très bien. Vous ne devez pas supposer que
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