Lettres de Marie Bashkirtseff | Page 3

Marie Bashkirtseff
ans. Elle est née le
11 novembre 1860.]

À son cousin. 20 février 1870, Tcherniakovka.
Cher Étienne,
Je te remercie pour le dessin et pour la lettre. Mes leçons vont assez
bien. Je t'envoie mon dessin, seulement ne le montre à personne, parce
que c'est mal fait. Après ton départ j'ai fait beaucoup de dessins et il y
en a qui sont bien. À l'étranger, je crois que nous n'irons pas bien vite,
peut-être pourtant un de ces jours; maman a dit dans une semaine.
Ma tante est allée dans ses terres avec Paul, voilà pourquoi Paul ne
t'écrit pas. Ta soeur Dina t'embrasse; mais, selon sa coutume, elle
n'écrit rien, mais elle pense à ta commission. Je t'apporterai de
l'étranger un porte-fusil, ou mieux, écris-moi ce qu'il faut t'apporter?
Mais dépêche-toi, car dans deux semaines, tout au plus, nous partons.
Écris-moi absolument qu'est-ce qu'il faut t'apporter de l'étranger; si
nous ne partons pas, je t'écrirai encore. Pardonne-moi le mauvais papier.
Maman t'envoie trois roubles et te prie de bien travailler à l'école.

Ta cousine dévouée.

À Mademoiselle H... 4 septembre 1873.
Chère amie,
J'ai pour la première fois parlé l'italien aujourd'hui. Le pauvre
Micheletty, (mon professeur,) faillit tomber évanoui ou se jeter par la
fenêtre de la joie de m'entendre parler italien. Je puis dire maintenant
que je parle le russe, le français, l'anglais, l'italien; j'apprends l'allemand
et le latin, j'étudie sérieusement.
Avant-hier, j'ai eu ma première leçon de physique.
Ah! comme je suis satisfaite de moi!
Quel grand bonheur est celui-là!
Comment vont tes leçons? Écris-moi, je t'en prie.
J'ai reçu le Derby: les courses à Bade! Comme je voudrais y être! mais
non, je ne veux pas, je dois étudier et, le coeur serré, je lis les courses
de chevaux de X. Je me calme avec grand peine et je me console en
disant: Étudions, étudions, notre tour viendra. Si Dieu le veut!
C'est l'heure du déjeuner, la seule libre, et c'est généralement pendant
ce temps qu'on me taquine avec X..., et je rougis, pour tous; maman me
soutient, en disant: «Qu'est-ce que tous la taquinez toujours avec ce
X...»
Maman est bien gentille aujourd'hui, je finirai vraiment par devenir son
amie.
Elle cause, nous raconte des histoires du temps où elle avait seize ans,
récite des poésies en riant.
Hier, à la leçon de français, j'ai lu l'Histoire Sainte, les dix

commandements de Dieu. Il dit qu'il ne faut pas se faire des images de
ce qui est dans les cieux. Les Latins et les Grecs ont tort, ce sont des
idolâtres, qui adorent des statues et des peintures. Aussi, moi, je suis
loin de suivre cette méthode. Je crois en Dieu, notre Sauveur, la Vierge,
et j'honore quelques saints, pas tous, car il y en a de fabriqués, comme
les plumcakes.
Que Dieu me pardonne ce raisonnement s'il est injuste, mais dans mon
simple esprit les choses sont ainsi et je ne puis dire autrement.
Es-tu contente de ma lettre?
Au revoir.

À sa tante. Spa, dimanche 5 juillet 1874.
Chère tante,
Je vous ai promis d'écrire et me voici. Je sors toujours au bras de ma
mère. Hier soir, je chantais chez moi et tous accoururent du Casino.
Paul m'a dit qu'il m'entend de l'hôtel de Flandre.
Pourquoi y a-t-il des gens qu'on déteste? J'étais tranquille, mais P....
vient avec sa mère et j'ai envie de fuir. Ils sont bons, aimables, pas
bêtes, mais je ne peux pas les supporter.
Nous allons voir la grotte à Spa; je ne puis pas bien vous la décrire et
pourtant cela me ferait un tel plaisir plus tard de trouver une juste
description (je noterai tout dans mon journal) de ce que j'ai vu! je sais
que j'ai beaucoup admiré. Mais je suis sûre qu'il y a des grottes bien
plus belles aux environs, sans parler d'autres pays, où il y a des
merveilles auprès desquelles la grotte d'ici ne paraîtrait que comme rien.
_D'ailleurs, c'est humilier les oeuvres souveraines que de leur imposer
notre approbation_.
Je marche avec M. G.... malgré une petite pluie; je suis mouillée et
crottée, maman est au désespoir....

Le retour a été admirable; dans un village, G.... a tiré d'un lit une
couverture blanche et du plancher un tapis. On donne le tapis aux autres
et on enveloppe de la couverture.... moi. Je riais et admirais l'intrépidité
de G....; il riait aussi et nous comparait à Paul et à Virginie.
On nous a présenté le comte Doenhoff, le petit B. K...., et nous allons
aux courses, le comte D. Basilevsky, frère de la princesse Souvaroff,
maman, moi et Dina. Nous sommes dans la meilleure tribune; le comte
D... reste avec nous. On dit qu'il admire maman, et tu sais, chère tante,
ce qu'il a dit! Il a dit: _La fille ne
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