Les voix intimes | Page 9

J.-B. Caouette
Qui pense à l'inconnu qui sous
la terre dort?

OCTAVE CRÉMAZIE.
S'il est un nom qui rime avec la poésie,
C'est celui de l'illustre Octave
Crémazie,
Le nom d'un barde bien-aimé;
D'un barde qui creusa, comme le vieil
Horace
Dans le champ du génie une profonde trace
Que suivent Fréchette et Lemay.
Bien des fois, secouant sa sombre rêverie,
Il chanta sur son luth
l'amour de la patrie
Et les vertus de nos aïeux;
Du prêtre canadien il chanta la science,

La foi, la charité le dévouement immense

Et les triomphes glorieux!
En pleurant il chanta le drapeau de la France,
Ce riche talisman,
témoin de la vaillance
De nos soldats à Carillon;
A ce vieux drapeau blanc environné de
gloire,
Rappelait à son coeur la plus belle victoire
Qu'eût remportée un bataillon!
Il chanta les vallons tapissés de verdure
Que le ciel a jetés, ainsi
qu'une bordure,
Sur les rives du Saint-Laurent;
Il chanta les ruisseaux, les lacs et les
rivières
Qui fécondent le sol, et les cimes altières
Où gronde et bondit le torrent.
Il chanta tour à tour le zéphyr, l'hirondelle,
Le site merveilleux de
notre citadelle
Et nos modestes monuments.
La foi de nos martyrs inspirait ses
mélanges
Qui semblaient aussi doux que les hymnes des anges
Envolés au souffle des vents!
Mais un jour--oubliant la sainte poésie--
Il eut, dans un moment de
gêne et de folie,
Une coupable illusion:
Comme l'arbre géant brisé par la tempête,

Le poète courba sa belle et noble tête
Sous la peine du talion...
Bien des ans ont passé depuis cette heure sombre!
Crémazie, en
voyant à son étoile une ombre,

A fui le lieu de ses malheurs...
Il a vécu longtemps sur la terre
étrangère,
Abandonné de tous, en proie à la misère,
Vidant la coupe des douleurs!
Aujourd'hui... mais silence!... Il sommeille sous terre
Dans un coin de
la France, au fond d'un cimetière,
Où nul peut-être ne priera...
L'inexorable mort l'a couché dans la bière

En attendant qu'un jour revienne sa poussière
En ce pays qu'il illustra!
Reçois avec tendresse, ô barde que j'admire,
Ces vers que je redis sur
ma craintive lyre,
Et que l'amitié m'inspira!
Puisse les Canadiens dresser à ta mémoire

Sur le roc de Québec un monument de gloire!
Et l'Amérique applaudira!
1er août 1877.
LA CITÉ DE CHAMPLAIN
Assise sur un roc où notre espoir se fonde,
Tu mires ta grandeur dans
la vague profonde
Du fleuve Saint-Laurent;
Tes vieux créneaux noircis par la poudre et
la flamme
Ont l'air de regarder s'envoler la grande âme
De Montcalm expirant!
Aux jours anciens, la voix de la mitraille
Sur tes remparts a retenti
souvent;
Et l'étranger sur ta haute muraille
Peut lire encore ce
poème éloquent.
Un siècle et plus, les enfants de la France
Ont
répandu pour toi leur noble sang,
Mais délaissés par une vile

engeance,
Ils t'ont perdue avec le drapeau blanc...
Depuis longtemps l'amour et l'harmonie
Ont remplacé les haines
d'autrefois;
Et l'Angleterre avec art s'ingénie
A rendre heureux les
rejetons gaulois.
Si dans ton sein la lutte recommence
Entre ces
coeurs vibrant à l'unisson,
C'est une lutte où l'esprit, la science
Ont
plus de part que l'éclat du canon!
24 juin 1885
UN ORPHELIN [3]
[Note 3: Joseph-Orance de Grandbois, né à Saint-Casimir, comté de
Portneuf, le 3 mai 1884, devint orphelin de père et de mère à l'âge de
deux ans, et fut confié aux révérendes Soeurs de la Charité de Québec,
le 17 mars 1886. Le 11 juin de la même année, M. l'abbé H.-R.
Casgrain.--qui avait été chargé par le comte A.-H. de Villeneuve, de
Paris, France, de lui choisir un petit orphelin canadien-français, qu'il
désirait adopter pour son enfant--vint chercher Joseph-Orance qu'il
envoya à Paris sous les soins d'une brave femme de Saint-Casimir,
nommée Béonie Hardy. Le 8 novembre 1890, l'honorable M. H.
Mercier, premier ministre de la province de Québec, présenta à la
législature un projet de loi pour permettre à l'heureux orphelin d'ajouter
à son nom celui de «de Villeneuve». Aujourd'hui l'enfant est l'unique
héritier d'un titre honorable et d'une immense fortune.]
Joseph-Orance avait la beauté pour parure;
De longs et noirs cheveux
encadraient sa figure
Pleine de grâce et de candeur.
Un sourire angélique ornait sa bouche
rose
Qui déjà soupirait une prière éclose
Dans les plis de son tendre coeur.
A peine deux printemps doraient sa belle tête,
Que la mort lui ravit--ô
terrible conquête!--

Famille, appui, félicité!
Mais Dieu prit l'orphelin sous sa puissante
égide
Et lui donna pour mère et pour fidèle guide
Une des soeurs de charité.
Les soeurs de charité! quelles femmes divines!
Et qui peut dignement
chanter ces héroïnes
Que vivent dans l'humilité?
Pour sauver l'orphelin de l'affreuse
indigence,
Former sa foi, son coeur et son intelligence,
Elles épuisent leur santé!
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