frères divins qui règnent dans l'azur!?--Mais toi, lorsque le soir répandra de son urne?L'ardeur mélancolique et les cendres nocturnes,?Lorsqu'on verra languir l'air et l'arbre étonnés,?Lorsque tout l'Univers viendra se confiner?Au cercle étroit du coeur; quand, dans l'ombre qui mouille, On entendra le chant acharné des grenouilles?Quand tout sera furtif, secret, mystérieux,?O mon ami, rends-moi le soleil de tes yeux!?Plus beaux que la clarté, plus s?rs, plus saisissables,?Nous go?terons ensemble un bonheur misérable.?Tes deux bras s'ouvriront comme des routes d'or?Où mes rêves courront sans halte et sans effort;?La douce ombre que fait ton menton sur ta gorge?Sera comme un pigeon traversant un champ d'orge;?Je verrai dans tes yeux profonds et fortunés?Tout ce que l'Univers n'a pas pu me donner:?O grain d'encens par qui l'on go?te l'Arabie!?Etroit sachet humain où je touche et déplie?Des parfums, des pays, des temps, des avenirs,?Plus que mon vaste coeur ne peut en contenir!...
--Ainsi, qu'avais-je fait pendant cette journée??J'étais ivre, j'étais éblouie! Etonnée,?Je parlais à travers les siècles transparents?Aux bergers grecs, chantant sur le bord des torrents.?La jeunesse, l'immense, aveuglante jeunesse?Me leurrait de sa longue, expectante paresse,?Et je ne pensais pas qu'il faut, pour être heureux,?être comme un troupeau attendri et peureux?Qui, lorsque na?t la nuit provocante et bleuatre,?Se range sous la main et sous la voix du patre.?--Mais le jour chancelant a quitté l'horizon.?Un doux soupir entr'ouvre et creuse les maisons,?Voici la nuit: l'air fuit, pressé, glissant, agile,?Esclave libéré qui rejoint son asile.?Deux ormeaux délicats, sous les brises penchants,?Sont deux syrinx feuillues d'où s'élancent des chants.?La lune plie au poids des nuages de jade,?Comme un rocher poli sent bondir les dorades.?Nous sommes seuls; le soir semble nous engloutir.?J'ai besoin d'un vivant, d'un constant avenir!?Retiens par ta multiple et claire exubérance?Mon ame qu'attiraient l'espace et le silence;?J'ai besoin de ton souffle humain, qui dit: ?Je suis?Le compagnon sensible et mortel qui te suit?Sur la route incertaine, et, plus tard, dans la terre?Où tu seras poussière, oubli, ombre et poussière.?Je suis ton ame ailée, et ce qui restera?De toi, lorsque tes yeux, tes lèvres et tes bras,?Dont tu fis une aurore, une lyre, une épée,?Seront aussi oisifs que des branches coupées...?
Ainsi me parlera la voix de cet ami.?Alors, malgré l'élan de mon coeur insoumis,?Portant dans mon esprit plus d'éclairs, de vertige?Que la fougère n'a de pollen sur sa tige,?Que dans sa profondeur et sa nappe la mer?N'a de scintillements argentés et amers,?Je fermerai sur toi, créé à mon image,?Le cercle de mon rêve, où l'étoile des Mages?Vers quelque nouveau dieu me conduisait toujours.?J'étais comme un prophète éveillé sur les tours,?Et qui, s'émerveillant d'avoir compris les causes?Que l'obscur Univers à son esprit propose,?Appelle avec une ivre et sacrilège ardeur?Plus d'astres, de secrets, d'orage et de douleur!?--Mais ces ambitions d'une ame insatiable,?Sont un désert, gonflé de tempête et de sable.?Je préfère à ce faste, à ces apres transports,?La douceur de ton ame alliée à ton corps,?Ces moments infinis, concentrés, chauds et tristes?Où mon coeur, par le tien, reconna?t qu'il existe,?Où, lorsque le désir avide et violent?Se dilue en un rêve harassé, grave et lent?Par qui l'ame est soudain comblée et raffermie,?Je sens,--? mon ami ailé, suave, humain,--?Ton visage pensif enfoncer dans ma main?Son odeur de nuée et de rose endormie...
AVOIR TOUT ACCUEILLI...
Avoir tout accueilli et cesser de conna?tre!?J'avais le poids du temps, la chaleur de l'été,?Quoi donc? Je fus la vie, et je vais cesser d'être
Pendant toute l'éternité!
J'ai voulu vivre afin d'épuiser mon courage,?Afin d'avoir pitié, afin d'aimer toujours,?Afin de secourir les humains d'age en age,?Puisque l'ambition n'est qu'un plus long amour...
--Un bondissant désir comme un torrent me gagne,?Ah! que je hante encor le sommet des montagnes,?Que je livre mes bras aux vents de l'Occident;?Le vert genévrier de ses senteurs me grise,?Un frein couvert d'écume éclate entre mes dents,?Se pourrait-il vraiment que l'univers détruise
Ce qu'il a fait de plus ardent!
LA MUSIQUE DE CHOPIN
Tandis que ma mère jouait un prélude de Chopin.
Le vent d'automne, usant sa rude passion,?Elague le jardin et disperse les fleurs,?Et les arbres, emplis de force et de fureur,?Avec des mouvements de dénégation?Refusent d'écouter ce sombre séducteur...
Une humidité terne, éplorée, abattue,?Enveloppe l'étang, se suspend aux statues,?R?de ainsi qu'une lente et romanesque amante.?La nue est alourdie et pourtant plus distante.?Le vent, comme un torrent déversé dans l'allée,?Roule avec une voix cristalline et fêlée?Des graviers reluisants et des pommes de pin...?Et, dans la maison froide où je rentre soudain,?Un prélude houleux et grave de Chopin,?Profond comme la mer immense et remuée,?Pousse jusqu'en mon coeur ses sonores nuées!?--O sanglots de Chopin, ? brisements du coeur,?Pathétiques sommets saignant au crépuscule,?Cris humains des oiseaux traqués par les chasseurs?Dans les roseaux altiers de la froide Vistule!?Soupirs! Gémissements! Paysages du p?le?Qu'entr'ouvre le boulet d'un soleil rouge et rond,?Noir cachet de la foudre au coeur chenu des saules,?Tristesse de la plaine et des cris du héron!?O Chopin, votre voix, qui reproche et réclame,?Comme un peuple affamé
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