dans la nue,?Telle, au moindre soupir dont l'oreille est émue?Nous sentons la pitié dans nos coeurs tressaillir,?Et pour les cris lointains lachement défaillir;?Trop pauvres pour donner des pleurs à tous les hommes,?Nous ne plaignons que ceux qui souffrent où nous sommes.
Quand nos foyers sont doux et s?rs, nous oublions?Malgré nous, près du feu, les grelottants haillons,?Et le bruit des canons, le fauve éclair des lames,?Dans les yeux des enfants et dans la voix des femmes;?Ou, nous-mêmes sujets au sort des malheureux,?Nous tournons nos regards sur nous plus que sur eux.
Ah! si nos coeurs bornés que distrait ou resserre?Leur félicité même ou leur propre misère,?A tant de maux si grands ne se peuvent ouvrir,?Qu'ils aient honte du moins de n'en pas plus souffrir!
[Illustration]
[Illustration]
LE VASE ET L'OISEAU
Tout seul au plus profond d'un bois,?Dans un fouillis de ronce et d'herbe,?Se dresse, oublié, mais superbe,?Un grand vase du temps des rois.
Beau de matière et pur de ligne,?Il a pour anse deux béliers?Qu'un troupeau d'amours familiers?Enlace d'une souple vigne.
A ses bords autrefois tout blancs?La mousse noire append son givre;?Une lèpre aux couleurs de cuivre?étoile et dévore ses flancs.
Son poids a fait pencher sa base?Où g?t un amas de débris,?Car il a ses angles meurtris,?Mais il tient bon l'orgueilleux vase.
Il songe: ?Autour de moi tout dort,?Que fait le monde? Je m'ennuie,?Mon cratère est plein d'eau de pluie,?D'ombre, de rouille, et de bois mort.
Où donc aujourd'hui se promène?Le flot soyeux des courtisans??Je n'ai pas vu figure humaine?A mon pied depuis bien des ans.?
Pendant qu'il regrette sa gloire,?Perdu dans cet exil obscur,?Un oiseau par un trou d'azur?S'abat sur ses lèvres pour boire.
?Holà! manant du ciel, dis-moi,?Toi devant qui l'horizon s'ouvre,?Sais-tu ce qui se passe au Louvre??Je n'entends plus parler du roi.
--Ah! tu prends à l'heure où nous sommes,?Dit l'autre, un bien tardif souci!?Rien n'est donc venu jusqu'ici?Des branle-bas qu'ont faits les hommes?
--Parfois un soubresaut brutal,?Des rumeurs extraordinaires,?Comme de souterrains tonnerres?Font tressaillir mon piédestal.
--C'est l'écho de leurs grands vacarmes:?Plus une tour, plus un clocher?Où l'oiseau puisse en paix nicher.?Partout l'incendie et les armes!
J'ai naguère, à Paris, en vain?Heurté du bec les vitres closes,?Nulle part, même aux lèvres roses,?La moindre miette de vrai pain.
Aux mansardes des Tuileries?Je logeais, le printemps passé,?Mais les flammes m'en ont chassé.?Ce n'était que feux et tueries.
Sur le front du génie ailé?Qui plane où sombra la Bastille,?J'ai voulu poser ma famille,?Mais cet asile a chancelé.
Des murs de granit qu'on restaure?Nous sommes l'un et l'autre exclus,?Là le temps des palais n'est plus,?Et celui des nids, pas encore.?
[Illustration]
[Illustration]
L'ALPHABET
Il g?t au fond de quelque armoire?Ce vieil alphabet tout jauni,?Ma première le?on d'histoire,?Mon premier pas vers l'infini.
Toute la Genèse y figure;?Le lion, l'ours et l'éléphant;?Du monde la grandeur obscure?Y troublait mon ame d'enfant.
Sur chaque bête un mot énorme?Et d'un sens toujours inconnu,?Posait l'énigme de sa forme?A mon désespoir ingénu.
Ah! dans ce lent apprentissage?La cause de mes pleurs, c'était?La lettre noire, et non l'image?Où la Nature me tentait.
Maintenant j'ai vu la Nature?Et ses splendeurs, j'en ai regret:?Je ressens toujours la torture?De la merveille et du secret,
Car il est un mot que j'ignore?Au beau front de ce sphinx écrit,?J'en épelle la lettre encore?Et n'en saurai jamais l'esprit.
[Illustration]
SUR LA MORT
I
On ne songe à la Mort que dans son voisinage:?Au sépulcre éloquent d'un être qui m'est cher,?J'ai pour m'en pénétrer fait un pèlerinage,?Et je pèse aujourd'hui ma tristesse d'hier.
Je veux, à mon retour de cette sombre place?Où semblait m'envahir la funèbre torpeur,?Je veux me recueillir, et contempler en face?La Mort, la grande Mort, sans défi mais sans peur.
Assiste ma pensée, austère Poésie?Qui sacres de beauté ce qu'on a bien senti;?Ta sévère caresse aux pleurs vrais s'associe,?Et tu sais que mon coeur ne t'a jamais menti.
Si ton charme n'est point un misérable leurre,?Ton art un jeu servile, un vain culte sans foi,?Ne m'abandonne pas précisément à l'heure?Où pour ne pas sombrer j'ai tant besoin de toi.
Devant l'atroce énigme où la raison succombe,?Si la mienne fléchit tu la relèveras;?Fais-moi donc explorer l'infini d'outre-tombe?Sur ta grande poitrine entre tes puissants bras;
Fais taire l'envieux qui t'appelle frivole,?Toi qui dans l'inconnu fais crier des échos,?Et prêtes par l'accent, plus s?r que la parole,?Un sens révélateur au seul frisson des mots.
Ne crains pas qu'au tombeau la morte s'en offense,?O Poésie, ? toi, mon naturel secours,?Ma seconde berceuse au sortir de l'enfance,?Qui seras la dernière au dernier de mes jours.
II
Hélas! j'ai trop songé sous les blêmes ténèbres?Où les astres ne sont que des b?chers lointains,?Pour croire qu'échappé de ses voiles funèbres?L'homme s'envole et monte à de plus beaux matins;
J'ai trop vu sans raison patir les créatures,?Pour croire qu'il existe au delà d'ici-bas?Quelque plaisir sans pleurs, quelque amour sans tortures,?Quelque être ayant pris forme et qui ne souffre pas.
Toute forme est sur terre un vase de souffrances,?Qui, s'usant à s'emplir, se brise au moindre heurt;?Apparence mobile entre mille apparences?Toute vie est sur terre un flot qui roule et meurt.
N'es-tu plus qu'une chose
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.