de moi; elle avait quatre ans alors...
--Mais à cette époque je vous l'ai demandée, moi... avec prières, s'écria Rodolphe d'un ton déchirant, et mes lettres sont restées sans réponse. La seule que vous m'ayez écrite m'annon?ait sa mort!
--Je voulais me venger de vos mépris en vous refusant votre enfant. Cela était indigne. Mais écoutez-moi... je le sens... la vie m'échappe, ce dernier coup m'accable...
--Non! non! je ne vous crois pas... je ne veux pas vous croire. La Goualeuse... ma fille! ? mon Dieu, vous ne voudriez pas cela!
--écoutez-moi, vous dis-je. Lorsqu'elle eut quatre ans, mon frère chargea Mme Séraphin, veuve d'un ancien serviteur à lui, d'élever l'enfant jusqu'à ce qu'elle f?t en age d'entrer en pension. La somme destinée à assurer l'avenir de notre fille fut déposée par mon frère chez un notaire cité pour sa probité. Les lettres de cet homme et de Mme Séraphin, adressées à cette époque à moi et à mon frère, sont là... dans cette cassette. Au bout d'un an on m'écrivit que la santé de ma fille s'altérait... huit mois après qu'elle était morte, et l'on m'envoya son acte de décès. à cette époque, Mme Séraphin est entrée au service de Jacques Ferrand, après avoir livré notre fille à la Chouette, par l'intermédiaire d'un misérable actuellement au bagne de Rochefort. Je commen?ais à écrire cette déclaration de la Chouette, lorsqu'elle m'a frappée. Ce papier est là... avec un portrait de notre fille à l'age de quatre ans. Examinez tout, lettres, déclaration, portrait; et vous, qui l'avez vue... cette malheureuse enfant... jugez.
Après ces mots qui épuisèrent ses forces, Sarah tomba défaillante dans son fauteuil.
Rodolphe resta foudroyé par cette révélation.
Il est de ces malheurs si imprévus, si abominables, qu'on tache de ne pas y croire jusqu'à ce qu'une évidence écrasante vous y contraigne...
Rodolphe, persuadé de la mort de Fleur-de-Marie, n'avait plus qu'un espoir, celui de se convaincre qu'elle n'était pas sa fille.
Avec un calme effrayant qui épouvanta Sarah, il s'approcha de la table, ouvrit la cassette et se mit à lire les lettres une à une, à examiner, avec une attention scrupuleuse, les papiers qui les accompagnaient.
Ces lettres timbrées et datées par la poste, écrites à Sarah et à son frère par le notaire et par Mme Séraphin, étaient relatives à l'enfance de Fleur-de-Marie et au placement des fonds qu'on lui destinait.
Rodolphe ne pouvait douter de l'authenticité de cette correspondance.
La déclaration de la Chouette se trouvait confirmée par les renseignements dont nous avons parlé au commencement de cette histoire, renseignements pris par ordre de Rodolphe, et qui signalaient un nommé Pierre Tournemine, for?at alors à Rochefort, comme l'homme qui avait re?u Fleur-de-Marie des mains de Mme Séraphin pour la livrer à la Chouette... à la Chouette, que la malheureuse enfant avait reconnue plus tard devant Rodolphe au tapis-franc de l'ogresse.
Rodolphe ne pouvait plus douter de l'identité de ces personnages et de celle de la Goualeuse.
L'acte de décès paraissait en règle; mais Ferrand avait lui-même avoué à Cecily que ce faux acte avait servi à la spoliation d'une somme considérable, autrefois placée en viager sur la tête de la jeune fille qu'il avait fait noyer par Martial à l'?le du Ravageur.
Ce fut donc avec une croissante et épouvantable angoisse que Rodolphe acquit, malgré lui, cette terrible conviction que la Goualeuse était sa fille et qu'elle était morte.
Malheureusement pour lui... tout semblait confirmer cette créance.
Avant de condamner Jacques Ferrand sur les preuves données par le notaire lui-même à Cecily, le prince, dans son vif intérêt pour la Goualeuse, ayant fait prendre des informations à Asnières, avait appris qu'en effet deux femmes, l'une vieille et l'autre jeune, vêtue en paysanne, s'étaient noyées en se rendant à l'?le du Ravageur, et que le bruit public accusait les Martial de ce nouveau crime.
Disons enfin que, malgré les soins du docteur Griffon, du comte de Saint-Remy et de la Louve, Fleur-de-Marie, longtemps dans un état désespéré, entrait à peine en convalescence, et que sa faiblesse morale et physique était encore telle qu'elle n'avait pu jusqu'alors prévenir ni Mme Georges ni Rodolphe de sa position.
Ce concours de circonstances ne pouvait laisser le moindre espoir au prince.
Une dernière épreuve lui était réservée.
Il jeta enfin les yeux sur le portrait qu'il avait presque craint de regarder.
Ce coup fut affreux.
Dans cette figure enfantine et charmante, déjà belle de cette beauté divine que l'on prête aux chérubins, il retrouva d'une manière saisissante les traits de Fleur-de-Marie... son nez fin et droit, son noble front, sa petite bouche déjà un peu sérieuse. ?Car, disait Mme Séraphin à Sarah dans une des lettres que Rodolphe venait de lire, l'enfant demande toujours sa mère et est bien triste.?
C'étaient encore ses grands yeux d'un bleu si pur et si doux... d'un bleu de bluet, avait dit la Chouette à Sarah, en reconnaissant dans cette miniature les traits de l'infortunée qu'elle avait
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