Les mystères de Paris, Tome IV | Page 6

Eugène Süe
mon Dieu?
--Nicolas et Calebasse, n'osant pas m'attaquer en face une seconde fois, m'avaient muré dans ma chambre pour m'y laisser mourir de faim. J'ai voulu les empêcher de clouer mes volets, ma soeur m'a coupé les mains à coups de hachette!!!
--Les monstres! ils voulaient faire croire que tu étais mort de maladie; ta mère avait déjà répandu le bruit que tu te trouvais dans un état désespéré. Ta mère, mon homme, ta mère!...
--Tiens, ne me parle pas d'elle, dit Martial avec amertume; puis, remarquant pour la première fois les vêtements mouillés et l'étrange accoutrement de la Louve, il s'écria: Que t'est-il arrivé? Tes cheveux ruissellent, tu es en jupon... il est trempé d'eau!
--Qu'importe! Enfin te voilà sauvé, sauvé!
--Mais explique-moi pourquoi tu es ainsi mouillée.
--Je te savais en danger... je n'ai pas trouvé de bateau...
--Et tu es venue à la nage?
--Oui. Mais tes mains, donne que je les baise. Tu souffres... Les monstres!... Et je n'étais pas là!
--Oh! ma brave Louve! s'écria Martial avec enthousiasme, brave entre toutes les créatures braves!
--N'as-tu pas écrit là: ?Mort aux laches!?
Et la Louve montra son bras tatoué où étaient écrits ces mots en caractères indélébiles.
--Intrépide, va! Mais le froid t'a saisie, tu trembles.
--?a n'est pas de froid.
--C'est égal... Entre là, tu prendras le manteau de Calebasse, tu t'envelopperas dedans.
--Mais...
--Je le veux.
En une seconde, la Louve fut enveloppée d'un manteau de tartan et revint.
--Pour moi... risquer de te noyer! répéta Martial en la regardant avec exaltation.
--Au contraire... une pauvre fille se noyait, je l'ai sauvée en abordant à l'?le.
--Tu l'as sauvée aussi? Où est-elle?
--En bas, avec les enfants; ils la soignent.
--Et qui est cette jeune fille?
--Mon Dieu! si tu savais quel hasard, quel heureux hasard! C'est une de mes compagnes de Saint-Lazare, une fille bien extraordinaire, va...
--Comment cela?
--Figure-toi que je l'aimais et que je la ha?ssais, parce qu'elle m'avait mis à la fois la mort et le bonheur dans l'ame.
--Elle?
--Oui, à propos de toi.
--De moi?
--écoute, Martial... Puis, s'interrompant, la Louve ajouta: Tiens, non, non... je n'oserai jamais.
--Quoi donc?
--Je voulais te faire une demande... J'étais venue pour te voir et pour cela, car en partant de Paris je ne te savais pas en danger.
--Eh bien! dis.
--Je n'ose plus.
--Tu n'oses plus, après ce que tu viens de faire pour moi!
--Justement. J'aurais l'air de quémander du retour.
--Quémander du retour! Est-ce que je ne t'en dois pas? Est-ce que tu ne m'as pas déjà soigné nuit et jour dans ma maladie l'an passé?
--Est-ce que tu n'es pas mon homme?
--Aussi tu dois me parler franchement, parce que je suis ton homme et que je le serai toujours.
--Toujours, Martial?
--Toujours, vrai comme je m'appelle Martial. Pour moi il n'y aura plus dans le monde d'autre femme que toi, vois-tu, la Louve. Que tu aies été ceci ou cela, tant pis, ?a me regarde... Je t'aime, tu m'aimes, et je te dois la vie. Seulement, depuis que tu es en prison, je ne suis plus le même. Il y a eu bien du nouveau!... J'ai réfléchi, et tu ne seras plus ce que tu as été.
--Que veux-tu dire?
--Je ne veux plus te quitter maintenant, mais je ne veux pas non plus quitter Fran?ois et Amandine.
--Ton petit frère et ta petite soeur?
--Oui; d'aujourd'hui il faut que je sois pour eux comme qui dirait leur père. Tu comprends, ?a me donne des devoirs, ?a me range, je suis obligé de me charger d'eux. On voulait en faire des brigands finis; pour les sauver je les emmène.
--Où ?a?
--Je n'en sais rien; mais pour s?r loin de Paris.
--Et moi?
--Toi? Je t'emmène aussi.
--Tu m'emmènes? s'écria la Louve avec une stupeur joyeuse. Elle ne pouvait croire à un tel bonheur. Je ne te quitterai pas?
--Non, ma brave Louve, jamais. Tu m'aideras à élever ces enfants... Je te connais; en te disant: ?Je veux que ma pauvre petite Amandine soit une honnête fille, parle-lui dans ces prix-là?, je sais ce que tu seras pour elle, une brave mère.
--Oh! merci, Martial, merci!
--Nous vivrons en honnêtes ouvriers; sois tranquille, nous trouverons de l'ouvrage, nous travaillerons comme des nègres. Mais au moins ces enfants ne seront pas gueux comme père et mère, je ne m'entendrai plus appeler fils et frère de guillotinés, enfin je ne passerai plus dans les rues où l'on te conna?t... Mais qu'est-ce que tu as? Qu'est-ce que tu as?
--Martial, j'ai peur de devenir folle.
--Folle?
--Folle de joie.
--Pourquoi?
--Parce que, vois-tu, c'est trop!
--Quoi?
--Ce que tu me demandes là... Oh! non, vois-tu, c'est trop. à moins que d'avoir sauvé la Goualeuse, ?a m'ait porté bonheur... C'est ?a pour s?r.
--Mais, encore une fois, qu'est-ce que tu as?
--Ce que tu me demandes là, oh! Martial! Martial!
--Eh bien?
--Je venais te le demander!
--De quitter Paris?...
--Oui..., reprit-elle précipitamment, d'aller avec toi dans les bois... où nous aurions une petite maison bien propre, des enfants que j'aimerais! oh! que j'aimerais! comme ta Louve aimerait les enfants de son homme! Ou
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