avec plus de hate que de soin.
Après une si longue séparation, toute autre créature e?t sans doute pris le temps de se faire belle pour cette première entrevue; mais la Louve se souciait peu de ces délicatesses et de ces lenteurs. Avant tout, elle voulait voir son homme le plus t?t possible, désir impérieux, non-seulement causé par un de ces amours passionnés qui exaltent quelquefois ces créatures jusqu'à la frénésie, mais encore par le besoin de confier à Martial la résolution salutaire qu'elle avait puisée dans son entretien avec Fleur-de-Marie.
La Louve arriva bient?t à la maison du pêcheur.
Assis devant sa porte, le père Férot, vieillard à cheveux blancs, raccommodait ses filets. Du plus loin qu'elle l'aper?ut, la Louve s'écria:
--Votre bateau... père Férot... vite... vite!...
--Ah! c'est vous, mademoiselle; bien le bonjour... Il y a longtemps qu'on ne vous a vue par ici.
--Oui, mais votre bateau... vite... et à l'?le!...
--Ah bien! c'est comme un sort, ma brave fille, impossible pour aujourd'hui.
--Comment?
--Mon gar?on a pris mon bachot pour s'en aller à Saint-Ouen avec les autres jouter à la rame... Il ne reste pas un bateau sur toute la rive d'ici jusqu'à la gare...
--Mordieu! s'écria la Louve en frappant du pied et en serrant les poings, c'est fait pour moi!
--Vrai! foi de père Férot... je suis bien faché de ne pas pouvoir vous conduire à l'?le... car sans doute qu'il est encore plus mal...
--Plus mal! Qui? Martial? s'écria la Louve en saisissant le père Férot au collet, mon homme est malade?
--Vous ne le savez pas?
--Martial?
--Sans doute; mais vous allez déchirer ma blouse. Tenez-vous donc tranquille.
--Il est malade! Et depuis quand?
--Depuis deux ou trois jours.
--C'est faux! Il me l'aurait écrit.
--Ah bien! oui... il est trop malade pour écrire.
--Trop malade pour écrire! Et il est à l'?le? Vous en êtes s?r?
--Je vas vous dire... Figurez-vous que ce matin j'ai rencontré la veuve Martial. Ordinairement, quand je la vois d'un c?té, vous entendez bien, je m'en vas de l'autre, car je n'aime pas sa société; alors...
--Mais mon homme, mon homme, où est-il?
--Attendez donc. Me trouvant avec sa mère entre quatre-z-yeux, je n'ai pas osé éviter de lui parler; elle a l'air si mauvais que j'en ai toujours peur: c'est plus fort que moi. ?Voilà deux jours que je n'ai vu votre Martial, que je lui dis; il est donc parti en ville?? Là-dessus elle me regarde avec des yeux... mais des yeux... qui m'auraient tué s'ils avaient été des pistolets, comme dit cet autre.
--Vous me faites bouillir. Après? Après?
Le père Férot garda un moment le silence, puis reprit:
--Tenez, vous êtes une bonne fille, promettez-moi le secret, et je vous dirai toute la chose, comme je la sais.
--Sur mon homme?
--Oui, car, voyez-vous, Martial est bon enfant quoique mauvaise tête; et s'il lui arrivait malheur par sa vieille scélérate de mère ou par son gueux de frère, ?a serait dommage.
--Mais que se passe-t-il? Qu'est-ce que sa mère et son frère lui ont fait? Où est-il, hein? Parlez donc, mais parlez donc!
--Allons, bon, vous voilà encore après ma blouse. Lachez-moi donc! Si vous m'interrompez toujours en me détruisant mes effets, je ne pourrai jamais finir et vous ne saurez rien.
--Oh! quelle patience! s'écria la Louve en frappant des pieds avec colère.
--Vous ne répéterez à personne ce que je vous raconte?
--Non, non, non!
--Parole d'honneur?
--Père Férot, vous allez me donner un coup de sang.
--Oh! quelle fille! Quelle fille! A-t-elle une mauvaise tête! Voyons, m'y voilà. D'abord il faut vous dire que Martial est de plus en plus en bisbille avec sa famille, et qu'ils lui feraient quelque mauvais coup, que cela ne m'étonnerait pas. C'est pour ?a que je suis faché de ne pas avoir mon bachot, car, si vous comptez sur ceux de l'?le pour y aller, vous avez tort. Ce n'est pas Nicolas ou cette vilaine Calebasse qui vous y conduiraient.
--Je le sais bien. Mais que vous a dit la mère de mon homme? C'est donc à l'?le qu'il est tombé malade?
--Ne m'embrouillez pas; voilà ce que c'est: ce matin je dis à la veuve: ?Il y a deux jours que je n'ai vu Martial, son bachot est au pieu; il est donc en ville?? Là-dessus la veuve me regarde d'un air méchant: ?Il est malade à l'?le, et si malade qu'il n'en reviendra pas.? Je me dis à part moi: ?Comment que ?a se fait? Il y a trois jours que...? Eh bien! quoi! dit le père Férot en s'interrompant, eh bien! où allez-vous? Où diable court-elle à présent?
Croyant la vie de Martial menacée par les habitants de l'?le, la Louve, éperdue de frayeur, transportée de rage, n'écoutant pas davantage le pêcheur, s'était encourue le long de la Seine.
Quelques détails topographiques sont indispensables à l'intelligence de la scène suivante.
L'?le du Ravageur se rapprochait plus de la rive gauche de la rivière que de la rive droite, où Fleur-de-Marie et
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