hôtes.
L'ogresse s'appelle la mère Ponisse; sa triple profession consiste à loger,
à tenir un cabaret, et à louer des vêtements aux misérables créatures qui
pullulent dans ces rues immondes.
L'ogresse a quarante ans environ. Elle est grande, robuste, corpulente,
haute en couleur et quelque peu barbue. Sa voix rauque, virile, ses gros
bras, ses larges mains, annoncent une force peu commune; elle porte
sur son bonnet un vieux foulard rouge et jaune; un châle de poil de
lapin se croise sur sa poitrine et se noue derrière son dos; sa robe de
laine verte laisse voir des sabots noirs souvent incendiés par sa
chaufferette; enfin le teint de l'ogresse est cuivré, enflammé par l'abus
des liqueurs fortes.
Le comptoir, plaqué de plomb, est garni de brocs cerclés de fer et de
différentes mesures d'étain; sur une tablette attachée au mur, on voit
plusieurs flacons de verre façonnés de manière à représenter la figure
en pied de l'empereur.
Ces bouteilles renferment des breuvages frelatés de couleur rose et
verte, connus sous le nom de parfait-amour et de consolation.
Enfin, un gros chat noir à prunelles jaunes, accroupi près de l'ogresse,
semble le démon familier de ce lieu.
Par un contraste qui semblerait impossible si l'on ne savait que l'âme
humaine est un abîme impénétrable... une sainte branche de buis de
Pâques, achetée à l'église par l'ogresse, était placée derrière la boîte
d'une ancienne pendule à coucou.
Deux hommes à figure sinistre, à barbe hérissée, vêtus presque de
haillons, touchaient à peine au broc de vin qu'on leur avait servi, ils
parlaient à voix basse d'un air inquiet.
L'un d'eux surtout, très-pâle, presque livide, rabattait souvent jusque sur
ses sourcils un mauvais bonnet grec dont il était coiffé; il tenait sa main
gauche presque toujours cachée, ayant soin de la dissimuler, autant que
possible, lorsqu'il était obligé de s'en servir.
Plus loin s'attablait un jeune homme de seize ans à peine, à la figure
imberbe, hâve, creuse, plombée, au regard éteint; ses longs cheveux
noirs flottaient autour de son cou; cet adolescent, type du vice précoce,
fumait une courte pipe blanche. Le dos appuyé au mur, les deux mains
dans les poches de sa blouse, les jambes étendues sur le banc, il ne
quittait sa pipe que pour boire à même d'une canette d'eau-de-vie placée
devant lui.
Les autres habitués du tapis-franc, hommes ou femmes, n'offraient rien
de remarquable, leurs physionomies étaient féroces ou abruties, leur
gaieté grossière ou licencieuse, leur silence sombre ou stupide.
Tels étaient les hôtes du tapis-franc lorsque l'inconnu, le Chourineur et
la Goualeuse y entrèrent.
Ces trois derniers personnages jouent un rôle trop important dans ce
récit, leurs figures sont trop caractérisées, pour que nous ne les mettions
pas en relief.
Le Chourineur, homme de haute taille et de constitution athlétique, a
des cheveux d'un blond pâle tirant sur le blanc, des sourcils épais et
d'énormes favoris d'un roux ardent.
Le hâle, la misère, les rudes labeurs du bagne ont bronzé son teint de
cette couleur sombre, olivâtre, pour ainsi dire, particulière aux forçats.
Malgré son terrible surnom, les traits de cet homme expriment plutôt
une sorte d'audace brutale que la férocité; quoique la partie postérieure
de son crâne, singulièrement développée, annonce la prédominance des
appétits meurtriers et charnels.
Le Chourineur porte une mauvaise blouse bleue, un pantalon de gros
velours primitivement vert, et dont on ne peut distinguer la couleur
sous l'épaisse couche de boue qui le couvre.
Par une anomalie étrange, les traits de la Goualeuse offrent un de ces
types angéliques et candides qui conservent leur idéalité même au
milieu de la dépravation, comme si la créature était impuissante à
effacer par ses vices la noble empreinte que Dieu a mise au front de
quelques êtres privilégiés.
La Goualeuse avait seize ans et demi.
Le front le plus pur, le plus blanc, surmontait son visage d'un ovale
parfait; une frange de cils, tellement longs qu'ils frisaient un peu, voilait
à demi ses grands yeux bleus. Le duvet de la première jeunesse
veloutait ses joues rondes et vermeilles. Sa petite bouche purpurine, son
nez fin et droit, son menton à fossette, étaient d'une adorable suavité de
lignes. De chaque côté de ses tempes satinées, une natte de cheveux
d'un blond cendré magnifique descendait en s'arrondissant jusqu'au
milieu de la joue, remontait derrière l'oreille dont on apercevait le lobe
d'ivoire rosé, puis disparaissait sous les plis serrés d'un grand mouchoir
de cotonnade à carreaux bleus, et noué, comme on dit vulgairement, en
marmotte.
Un collier de grains de corail entourait son cou d'une beauté et d'une
blancheur éblouissantes. Sa robe d'alépine brune, beaucoup trop large,
laissait deviner une taille fine, souple et ronde comme un jonc. Un
mauvais petit châle orange, à franges vertes, se croisait sur son sein.
Le charme de la voix de la Goualeuse avait
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