au rough, il s'était sauvé des mains de ceux qui faisaient la police de la Tamise; sa mémoire devait lui rendre clémente la terrible machoire du chien.
Shoking était un enfant de la cité de Londres; il savait tout ou à peu près; il avait mendié, couché, travaillé même, à peu près partout.
On l'avait employé dans les docks à porter des fardeaux, et sur les navires à décharger des gueuses de lest.
Seulement, le plus beau temps de sa misère avait été aussi le plus bel age de sa paresse, et quand Shoking avait touché le salaire de trois jours de travail, il avait huit jours de fainéantise sur la planche.
Or donc, le grognement et les deux points lumineux fixés sur lui firent surgir dans sa mémoire, avec la spontanéité de l'éclair, un double souvenir.
Il se rappela qu'au dock Sainte-Catherine, il avait travaillé pour le compte d'un marchand d'huiles, M. Simpson, et que ce M. Simpson, qui avait un magasin sur la Tamise, avait un chien du nom de Sultan.
Aussit?t, et comme les deux points lumineux s'agitaient dans l'espace, semblables à des étoiles filantes, et que le terrible gardien s'élan?ait sur lui, Shoking cria:
--Paix donc, Sultan!
Les deux points lumineux s'arrêtèrent et le grognement s'éteignit aussit?t.
--Hé! mon petit Sultan, dit Shoking d'une voix caressante, tu ne reconnais pas les amis?
évidemment flatté de s'entendre appeler par son nom, le chien s'était calmé subitement.
--Mon petit Sultan! répéta Shoking avec calinerie.
Alors le chien s'approcha, non plus mena?ant et la gueule ouverte, mais en chien intelligent qui veut savoir à qui il a affaire.
Shoking étendit hardiment la main et se mit à caresser le terre-neuve.
Cependant celui-ci ne se f?t pas laissé prendre peut-être à ces amabilités, si Shoking n'e?t été ruisselant de cette eau noire, limoneuse et salée de la Tamise.
Or, la spécialité première d'un terre-neuve étant de sauver les gens qui se noient, il était évident que la sympathie de Sultan était acquise à Shoking, du moment où celui-ci sortait de l'eau.
Et comme si le chien e?t su comprendre textuellement ses paroles, Shoking lui dit encore:
--Je ne suis pas un voleur, mon bon Sultan, et tu n'as rien à craindre pour ton huile, pouah! mais j'ai failli me noyer...
Le chien comprit-il? Nous n'oserions l'affirmer: mais il se frotta contre Shoking avec un grognement d'amitié, et dès lors, Shoking fut chez lui.
A l'abri dans le magasin, s?r que, si on le venait poursuivre jusque-là, le chien ferait son métier de gardien, Shoking attendit.
Il attendit que la chaloupe e?t exploré la Tamise dans tous les sens, en amont et en aval du pont de Londres.
Comme le brouillard est sonore, il entendit même retentir au loin la voix du matelot commandant qui disait:
--Après ?a, camarades, ?a ne nous regarde qu'à moitié. Nous n'avons rien de commun avec les policemen, et il n'y a que la police de la Tamise qui nous regarde. On nous confie deux hommes, ils se sauvent... nous ne pouvons pas les rattraper... bonsoir!...
Et Shoking aper?ut dans le brouillard le fanal de la chaloupe qui virait de bord et qui remontait vers le pont de Londres, sous lequel elle disparut de nouveau.
Alors il se dit:
--Je suis déjà bien mouillé, je ne risque pas grand' chose à me rejeter à l'eau, d'autant mieux que j'ai de l'argent dans ma poche et que je connais un fripier dans le Borough, de l'autre c?té de la Tamise, qui me louera des habits secs pour une demi-couronne.
Sur cette réflexion, Shoking caressa une seconde fois le chien et lui dit:
--Adieu, Sultan... tu es un chien fidèle... et je le dirai à ton ma?tre quand je le verrai...
Puis il piqua résolument une tête dans la Tamise.
Jamais un homme ne se jette impunément à l'eau, en présence d'un terre-neuve.
Sultan n'était peut-être pas faché, du reste, d'avoir un prétexte pour quitter son poste.
A peine Shoking commen?ait-il à nager vigoureusement, qu'il entendit l'eau clapoter auprès de lui et qu'il sentit sur son visage la chaude haleine du chien.
Sultan nageait c?te à c?te avec Shoking.
--Oh! oh! fit celui-ci, pas de bêtises, mon ami, ne va pas t'imaginer que je me noie au moins. Tu me ferais boire plus qu'à ma soif, en croyant me sauver.
Mais Shoking avait mal jugé Sultan.
Sultan était un chien intelligent, qui avait tout aussit?t apprécié le mérite de Shoking, comme nageur, et c'était simplement pour lui faire la conduite qu'il s'était mis à l'eau.
Il se contenta donc de nager auprès de lui, comme un camarade, et il se paya le plaisir d'aborder de l'autre c?té de la Tamise, à cent mètres au-dessous du pont de Londres, tout auprès de Shoking.
Shoking était haletant, néanmoins il crut poli de faire ses compliments à Sultan.
--Tu es un bon chien, répéta-t-il, je le dirai à ton ma?tre. Adieu, Sultan.
Et il le caressa.
Le chien eut un grognement amical; puis il pensa que Shoking n'avait plus besoin de
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