c'est le bon Dieu qui m'a mise sur votre chemin. Mon mari se nomme Paddy et nous demeurons dans Adam's street, quartier du Southwark.
Shoking tira un carnet de sa poche, prit un crayon et inscrivit le nom de Paddy et celui d'Adam's street.
Puis il sauta du bateau sur le ponton et se mit à gravir d'un pas leste l'escalier qui montait sur le quai.
En face de cet escalier, il y avait une ruelle, que Shoking enfila.
Où allait-il?
Sans doute chez le landlord de cette taverne qui faisait face au cimetière dans lequel s'étaient réunis l'homme, les chefs fenians et l'abbé Samuel, la veille de l'exécution de John Colden.
Shoking avait marché si vite, qu'il croyait avoir laissé assez loin derrière lui les voyageurs du penny-boat.
Cependant, il entendit tout à coup derrière lui un pas d'homme et, se retournant, il reconnut le rough.
--Ah! c'est toi? dit-il.
--Oui, mylord.
--Tu vas donc à Rotherithe?
--Comme vous voyez.
--Est-ce ton quartier?
--Non. Je descendais plus bas; mais quand je vous ai vu vous arrêter ici, j'ai débarqué pareillement.
--Pourquoi? demanda Shoking.
--Mais parce que j'étais bien aise de causer un brin avec vous.
--Hein? fit Shoking.
Le rough était déguenillé; de plus, il était de haute taille, paraissait robuste, et la ruelle était déserte.
--Eh! eh! pensa le bon Shoking, je ne serais vraiment pas de force avec lui, dans le cas où il lui plairait de me dévaliser. Soyons diplomate.
--Oh! oh! reprit-il, vous voulez causer un brin avec moi?
--Oui, mylord.
--Puis-je t'être utile?
--Je le crois, mylord.
--Voyons, parle, je t'écoute.
Et Shoking ralentit le pas.
Le rough le pla?a à c?te de lui.
--C'est singulier, dit-il, que Votre Honneur ne me reconnaisse pas.
--Je t'ai déjà vu quelque part, mais où? je ne sais pas.
--Dans une foule de tavernes, autrefois.
--Bon!
--Et il y a quinze jours, à la porte de Jefferies, le valet de Calcraff.
Ceci fut un trait de lumière pour Shoking.
--Ah! dit-il, c'est à toi que j'ai donné une poignée de couronnes?
Oui, mylord.
--Eh bien! reprit Shoking, parle: que puis-je faire pour toi?
--Me rendre un grand service.
--Vraiment?
--Figurez-vous, dit le rough, que je suis allé quelques jours après notre dernière rencontre, chez maman Brandy, au Black Horse.
--Fort bien! je connais la maison.
--J'ai soutenu que vous étiez un lord.
--Et on s'est mis à rire?
--Oui. Mais un homme qui s'appelle l'homme gris...
Shoking tressaillit.
--Après? fit-il.
--L'homme gris me dit que j'avais raison et que vous étiez un lord: et nous nous sommes en allés, lui, moi et une femme du nom de Betsy.
Shoking fit alors un pas en arrière.
--Mais, alors, misérable, dit-il, c'est toi qui as volé la clef de Betsy!
--Oui, mylord.
--Qui as accompagné l'homme gris chez elle?
--Parfaitement.
--Et qui as ensuite fait des révélations à la police?
--C'est moi, dit froidement le rough, et c'est pour cela que je vous ai suivi ce soir.
--Mais que me veux-tu donc, dr?le? dit Shoking, essayant de reprendre les grands airs de lord Wilmot.
--Là! ne vous fachez pas, dit le rough, et écoutez-moi.
Shoking avait bonne envie de prendre la fuite mais le rough ne lui en donna pas le temps.
Il passa son bras sous le sien et, le maintenant ainsi, il poursuivit:
--Je ne suis pas méchant homme, dit-il, et je ne trahis pas les camarades pour le plaisir de les trahir. Si Betsy ne m'avait pas dénoncé, je n'aurais jamais rien dit; mais Betsy ayant parlé, la police a mis la main sur moi.
Alors j'ai dit ce que je savais.
La police s'est mise à rire, lorsque j'ai soutenu que vous vous appeliez lord Wilmot.
--Ah! vraiment? fit Shoking en se mordant les lèvres.
--Elle a fait des recherches...
--Par exemple!
--Et elle a reconnu qu'aucun lord de ce nom n'existait au parlement.
--Après? fit dédaigneusement Shoking.
--Alors, reprit le rough, elle m'a donné une mission.
--A toi?
--A moi. Et la mission sera bien payée. J'aurai cent livres, si je réussis.
--Que dois-tu donc faire?
--Découvrir le prétendu lord Wilmot.
--Bon!
--Et le conduire à Scotland Yard, où il faudra bien qu'il donne des renseignements...
--Sur qui?
--Sur l'homme gris qu'on cherche et qu'on ne trouve pas...
--Mon ami, dit Shoking essayant de payer d'audace, c'est un vilain métier que tu ferais-là.
--Un métier qui rapporte cent livres est toujours un bon métier.
--J'en connais un meilleur, dit Shoking.
--Lequel?
--Ce serait de venir chez moi demain, à Hampsteadt. Au lieu de cent livres, tu en aurais deux cents.
--Il vaut mieux tenir que courir, demain n'est pas aujourd'hui, répondit le rough.
Et il donna un croc en jambe à Shoking, qui jeta un cri et tomba.
--Maintenant, mon bonhomme, dit-il en se jetant sur lui, nous allons bien voir si tu es ou non lord Wilmot.
En même temps il appuya deux doigts sur ses lèvres et fit entendre un coup de sifflet.
III
Shoking essaya de se débattre, poussant des cris étouffés.
Mais le rough était robuste, et il le maintint sous son genou.
Puis, tirant un couteau de sa poche, il en appuya la pointe sur la gorge de Shoking, lui disant:
--Tout lord que tu peux être, si tu cries, je te tue!
Au temps de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.