n'était.
Or, ce jour-là, avant-veille de la Christmas, Old Bailey avait été témoin d'un semblable spectacle. On avait pendu le matin un pauvre diable de Fran?ais, condamné pour avoir assassiné la femme qui partageait sa misère.
Ivres de désespoir tous deux, sans vêtements et sans pain, les deux malheureux avaient résolu d'en finir avec la vie.
Le Fran?ais avait tué sa ma?tresse d'abord, puis il avait tourné le coutelas fumant vers sa propre poitrine, et sa main tremblante n'était point parvenue à l'y enfoncer tout entier.
Il avait survécu, la cour d'assises l'avait déclaré assassin et condamné à être pendu.
C'était le matin même que le malheureux avait payé sa dette à la justice, et bien qu'il f?t près de dix heures et qu'il ne restat pas dans Old Bailey la moindre trace de l'exécution, une certaine animation régnait au seuil des magasins, et les commis s'attroupaient et causaient entre eux.
La maison occupée par la maison de banque Harris Johnson et Cie était surtout en rumeur.
Cela tenait à une circonstance particulière.
La maison Harris avait une succursale à Paris, et le Fran?ais qu'on venait de pendre avait été employé dans les bureaux de la maison de Londres, il y avait environ un an.
Le chef de la maison, M. Harris, l'avait congédié parce qu'il l'avait vu gris un dimanche.
Or, M. Harris était un brave homme, au demeurant, et en dépit de son puritanisme religieux, il s'était repenti de sa dureté, lorsqu'il avait appris la fin tragique de son ex-employé.
Il avait même fait de nombreuses démarches, huit jours auparavant, pour obtenir une commutation de peine.
Les commis qui, tous avaient connu le pauvre Olivier, c'était le nom du supplicié, causaient donc entre eux, et celui-là seul qui couchait dans la maison pour garder les bureaux la nuit, avouait s'être mis à la fenêtre et avoir vu l'exécution dans tous ses détails.
--Alors, disait l'un, tu as bien vu?
--J'ai vu la chose, répondait-il, comme je vous vois.
--A-t-il parlé?
--Non, il a seulement embrassé le christ que lui présentait le prêtre.
--Un prêtre catholique?
--Oui. L'abbé Samuel, un Irlandais.
--Est-il mort avec courage?
--Certainement.
--Voici, le troisième depuis le jour de l'an, dit un autre commis.
--Et il y en a un quatrième qui attend.
--Un condamné?
--Oui. C'est un nommé Bulton. Il sera pendu lundi prochain.
--Et un cinquième qui va venir, dit un autre commis. Il n'est pas jugé, mais c'est tout comme.
C'est un Irlandais qui a assassiné un gardien de Cold bath field.
--Comment l'appelle-t-on?
--John Colden.
--Messieurs, dit une voix sévère au seuil des bureaux, à l'ouvrage, s'il vous pla?t!...
Les commis rentrèrent précipitamment.
VII
La voix qui venait de se faire entendre était celle de monsieur Morok.
Monsieur Morok était le caissier principal de la maison Harris Johnson et Cie.
C'était un rude et terrible homme que monsieur Morok.
Il avait cinquante-neuf ans d'age et quarante-cinq ans de maison de banque.
A quatorze ans, il était entré comme expéditionnaire dans les bureaux de la maison Harris, au temps du grand-père du banquier actuel.
Petit, gros, rubicond, les lèvres charnues, les dents jaunes et mal plantées, chauve comme un genou, M. Morok ne savait de la vie ordinaire que ce qui se rapporte directement aux opérations de la banque.
Pour lui, le monde était un grand livre immense sur lequel les clients se divisaient en deux catégories, les débiteurs et les créditeurs.
Tout homme qui n'était pas en relations directes ou indirectes avec la maison Harris, n'existait pas.
M. Morok était gar?on, il avait horreur des femmes et des enfants, et avait coutume de dire que se mettre en famille était une opération déplorable.
Comme il ne s'était jamais amusé, il avait horreur de ceux qui s'amusent.
Le jour où M. Harris, homme de plaisir, l'avait mis à la tête de la maison, avait été un mauvais jour pour tous les employés. M. Morok voulait qu'on f?t exact, qu'on travaillat nuit et jour et qu'on touchat les appointements les plus minimes.
Ce jour-là, M. Morok était arrivé dans Old Bailey de plus méchante humeur que de coutume.
--Je vous demande un peu, mon cher monsieur, disait-il à monsieur Colmans, le teneur de livres qui entra dans sa cage grillée, à l'ouverture des bureaux, je vous demande un peu s'il est raisonnable de nous faire un pareil esclandre dans une rue où s'abritent tant de maisons sérieuses.
Je ne suis pas philanthrope, certes non, et je trouve que la peine de mort est nécessaire; sans cela on nous pillerait toutes nos caisses. Mais est-ce une raison pour qu'on exécute dans Old Bailey?
Toute la nuit, la foule qui circulait dans Farringdon, où je demeure, m'a empêché de dormir.
Ce matin, les cloches nous ont cassé la tête.
Voilà qu'il est dix heures, et personne n'est à son poste.
--On ne peut pourtant pas pendre à minuit, observa timidement le teneur de livres.
--Mais on pourrait pendre ailleurs que dans Old Bailey.
--Et où cela, monsieur Morok?
--Hé! le sais-je!... Devant White Hall, par exemple, ou dans un quartier quelconque du West End où on n'a

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