Les curés, imposant aux fiancés
huguenots de longues et dures épreuves de catholicité, avant de
consentir à les marier, et qualifiant de bâtards, dans leurs actes
baptistaires, les enfants issus de mariages contractés au désert et à
l'étranger, les huguenots fuyaient les églises, ils allaient se marier
devant des pasteurs, et faisaient baptiser leurs enfants par eux, mais, en
agissant ainsi, ils n'avaient plus d'état civil.
Pour mettre fin à un tel état de choses, Louis XVI, en 1787, promulgua
un édit qui -- sans faire mention des protestants -- permettait aux
non-catholiques d'opter entre leur Curé et un fonctionnaire laïque pour
donner une constatation légale à leurs naissances, à leurs mariages et à
leurs décès.
Dans un mandement des plus violents, l'évêque de la Rochelle protesta
contre cet édit réparateur et, interdisant aux prêtres de son diocèse de
faire fonctions d'officiers de l'état civil pour les non catholiques il leur
enjoignit de déclarer à ceux qui se présenteraient devant eux que leur
ministère était exclusivement réservé aux fidèles. En parlant ainsi, cet
évêque était dans la logique de la doctrine catholique, en vertu de
laquelle toutes les libertés et tous les droits doivent être le privilège des
catholiques; en sorte que donner la liberté à tous, c'est détruire la
liberté des catholiques, de même que c'est porter atteinte aux droits
imprescriptibles de l'Église que de donner tous ses effets civils à un
mariage qu'elle qualifie de concubinat, parce qu'il n'a pas été béni par
elle. Que nous importe aujourd'hui, dira-t-on, la doctrine d'intolérance
de l'Église catholique? Notre société n'a-t-elle point pour base, l'égalité
de tous les citoyens devant la loi, l'égalité des droits des sectateurs de
toutes les religions et de toutes les opinions philosophiques?
Sans parler de l'explosion de cléricalisme qui s'est produite après le 24
mai, est-il permis d'oublier combien les flots de la mer politique sont
changeants? Une surprise du scrutin, ainsi que la Belgique en a fait
naguère l'épreuve, ainsi qu'en témoigne le vote du 4 octobre 1885 en
France, ne pourrait-elle ramener au pouvoir, les partisans masqués
d'une théocratie absolument hostile aux principes du droit nouveau?
Sans doute un changement aussi radical dans l'orientation politique de
notre pays, ne se produirait point sur une plate-forme électorale
semblable à celle établie par M. Chesnelong et douze autres apôtres de
l'ancien régime. Que l'on demande au pays de proclamer par son vote
que l'indépendance de l'Église, c'est-à-dire son droit à la domination,
que les libertés nécessaires de l'Église, c'est-à-dire la suppression de la
liberté des autres, sont des droits antérieurs et supérieurs à tous les
gouvernements, le pays ne comprendra même pas ce langage d'un autre
âge. Qu'on le mette en demeure d'opter entre l'ancien régime et la
révolution, ainsi que l'ont fait les ouvriers légitimistes des quatre-vingts
quartiers de Paris: «Nous réclamons la restauration de la monarchie
légitime et chrétienne; arrière donc la révolution!» il ne daignera même
pas honorer d'une réponse une telle mise en demeure; mais, ne peut-il
arriver que, sans avoir été posée devant les électeurs, la question de la
restauration d'un pouvoir théocratique se trouve tranchée par les
pouvoirs constitués?
N'a-t-on pas vu, en 1873, l'assemblée nationale qui, en un jour de
malheur, avait été élue avec la mission spéciale de conclure la paix, sur
le point de décider, sans mandat, le rétablissement de la monarchie
légitime, de cette monarchie qui représentait l'alliance intime du trône
et de l'autel, l'asservissement politique et théologique du peuple?
Le comte de Chambord, en effet, plaçait ses chrétiennes déclarations
sous l'autorité du chef de la catholicité qui avait condamné
solennellement les erreurs du droit nouveau, c'est-à-dire toutes les
libertés; et le pape, de son côté, affirmait que la restauration de la
monarchie légitime en France, rendrait au régime et aux doctrines
catholiques toute la puissance des anciens jours.
L'assemblée nationale, au lieu de voter la monarchie légitime, a fait la
république à une voix de majorité, et le comte de Chambord est
descendu dans la tombe sans avoir entendu sonner cette heure de Dieu
qu'il ne se lassait pas d'attendre; mais il ne faut pas oublier que tout
prince qui, par force ou par ruse, se mettrait en possession du pouvoir
souverain, deviendrait fatalement, comme l'eût été Henri V, le docile
serviteur de l'Église. En effet, pour tenter quelque chose contre la
démocratie, chaque parti monarchique est impuissant par lui-même, il
est donc dans l'obligation de s'assurer à tout prix l'appui de l'Église si
bien organisée pour la lutte, appui sans lequel il ne peut rien. En
d'autres termes la monarchie en France sera cléricale ou elle ne sera pas,
elle devra donc subordonner son pouvoir à celui de cette Église dont le
syllabus est une véritable déclaration de guerre à tous les principes sur
lesquels repose la société moderne.
Que s'est-il passé au mois d'octobre 1885?
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