Les grandes espérances

Charles Dickens
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Les grandes espérances, by Charles Dickens

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Title: Les grandes espérances
Author: Charles Dickens
Translator: Charles Bernard-Derosne
Release Date: January 21, 2006 [EBook #17565]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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Charles Dickens
LES GRANDES ESPéRANCES
(1861)
Traduction Charles Bernard-Derosne

TOME PREMIER

CHAPITRE I.
Le nom de famille de mon père étant Pirrip, et mon nom de baptême Philip, ma langue enfantine ne put jamais former de ces deux mots rien de plus long et de plus explicite que Pip. C'est ainsi que je m'appelai moi-même Pip, et que tout le monde m'appela Pip.
Si je donne Pirrip comme le nom de famille de mon père, c'est d'après l'autorité de l'épitaphe de son tombeau, et l'attestation de ma soeur, Mrs Joe Gargery, qui a épousé le forgeron. N'ayant jamais vu ni mon père, ni ma mère, même en portrait puisqu'ils vivaient bien avant les photographes, la première idée que je me formai de leur personne fut tirée, avec assez peu de raison, du reste, de leurs pierres tumulaires. La forme des lettres tracées sur celle de mon père me donna l'idée bizarre que c'était un homme brun, fort, carré, ayant les cheveux noirs et frisés. De la tournure et des caractères de cette inscription: Et aussi Georgiana, épouse du ci-dessus, je tirai la conclusion enfantine que ma mère avait été une femme faible et maladive. Les cinq petites losanges de pierre, d'environ un pied et demi de longueur, qui étaient rangées avec soin à c?té de leur tombe, et dédiées à la mémoire de cinq petits frères qui avaient quitté ce monde après y être à peine entrés, firent na?tre en moi une pensée que j'ai religieusement conservée depuis, c'est qu'ils étaient venus en ce monde couchés sur leurs dos, les mains dans les poches de leurs pantalons, et qu'ils n'étaient jamais sortis de cet état d'immobilité.
Notre pays est une contrée marécageuse, située à vingt milles de la mer, près de la rivière qui y conduit en serpentant. La première impression que j'éprouvai de l'existence des choses extérieures semble m'être venue par une mémorable après-midi, froide, tirant vers le soir. à ce moment, je devinai que ce lieu glacé, envahi par les orties, était le cimetière; que Philip Pirrip, décédé dans cette paroisse, et Georgiana, sa femme, y étaient enterrés; que Alexander, Bartholomew, Abraham, Tobias et Roger, fils desdits, y étaient également morts et enterrés; que ce grand désert plat, au delà du cimetière, entrecoupé de murailles, de fossés, et de portes, avec des bestiaux qui y paissaient ?à et là, se composait de marais; que cette petite ligne de plomb plus loin était la rivière, et que cette vaste étendue, plus éloignée encore, et d'où nous venait le vent, était la mer; et ce petit amas de chairs tremblantes effrayé de tout cela et commen?ant à crier, était Pip.
?Tais-toi! s'écria une voix terrible, au moment où un homme parut au milieu des tombes, près du portail de l'église. Tiens-toi tranquille, petit dr?le, où je te coupe la gorge!?
C'était un homme effrayant à voir, vêtu tout en gris, avec un anneau de fer à la jambe; un homme sans chapeau, avec des souliers usés et troués, et une vieille loque autour de la tête; un homme trempé par la pluie, tout couvert de boue, estropié par les pierres, écorché par les cailloux, déchiré par les épines, piqué par les orties, égratigné par les ronces; un homme qui boitait, grelottait, grognait, dont les yeux flamboyaient, et dont les dents claquaient, lorsqu'il me saisit par le menton.
?Oh! monsieur, ne me coupez pas la gorge!... m'écriai-je avec terreur. Je vous en prie, monsieur..., ne me faites pas de mal!...
--Dis-moi ton nom, fit l'homme, et vivement!
--Pip, monsieur....
--Encore une fois, dit l'homme en me fixant, ton nom... ton nom?...
--Pip... Pip... monsieur....
--Montre-nous où tu demeures, dit l'homme, montre-nous ta maison.?
J'indiquai du doigt notre village, qu'on apercevait parmi les aunes et les peupliers, à un mille ou deux de l'église.
L'homme, après m'avoir examiné pendant quelques minutes, me retourna la tête en bas, les pieds en l'air et vida mes poches. Elles ne contenaient qu'un morceau de pain. Quand je revins à moi, il avait agi si brusquement, et j'avais été si effrayé, que je voyais tout sens dessus dessous, et que le clocher de l'église semblait être à mes pieds; quand je revins à moi, dis-je, j'étais assis sur une grosse pierre, où je tremblais pendant qu'il dévorait mon pain avec avidité.
?Mon jeune gaillard, dit l'homme, en se léchant les lèvres, tu as des
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