faute si
mon pauvre ami s'y est jeté la tête la première, parce qu'il vous aimait.
--Il m'aimait! Voilà un mot hors de saison. Il m'aimait! mais tout le
monde m'aime; je ne peux pas épouser tout le monde. D'ailleurs, vous
savez bien qu'on n'aime plus.
--Ah! oui, vous voulez dire que c'était bon au temps de l'âge d'or; mais
aujourd'hui que nous sommes sous l'âge de l'or....
Mlle de Montaignac eut un mouvement de dépit, car elle épousait des
millions.
--Enfin, monsieur, votre ami a fait une bêtise! S'il lui faut une larme, je
la lui donnerai; mais, de grâce, brisons là.
Elle s'était levée; l'ami d'Arthur se leva.
--Je comprends, mademoiselle, il y a des courses aujourd'hui.
Seulement, je dois vous dire encore un mot: mon ami m'a nommé son
exécuteur testamentaire; voici le premier article de son testament:
«Tu porteras ma tête sur un plat d'argent à Mlle Salomé de
Montaignac.»
Laure fit semblant d'éclater de rire.
--Voilà qui est original et inattendu. Et que ferez-vous, monsieur?
La voix de l'ambassadeur siffla comme un serpent.
--Je remplirai mon rôle d'exécuteur testamentaire.
Il sortit et salua avec des larmes et des lames dans les yeux.
V
Naturellement, la jolie valseuse d'Arthur ne retarda pas son mariage
d'un jour.
Le surlendemain, Sainte-Clotilde retentit de tous les chants d'allégresse.
Les vingt duchesses étaient là pour s'amuser du spectacle: les reporters
contèrent le menu et effeuillèrent, pour la curiosité des curieux toutes
les fleurs d'innocence de la mariée. Mais ce qu'ils ne dirent pas, je vais
le dire:
Pendant la messe, une duchesse demanda à son sigisbée pourquoi Laure
était si pâle et si émue, elle qui n'avait peur de rien. C'est que Mlle de
Montaignac, jetant un rapide regard sur tous ceux qui étaient de la fête,
avait reconnu Arthur Dupont, quoiqu'on l'eût enterré la veille.
C'était bien lui: cravate blanche, redingote noire, lorgnon dans l'oeil,
sourire sur les lèvres.
--C'est singulier, dit-elle, quand on a une image dans la tête, on l'a dans
les yeux. Mais, un moment après, comme son fiancé lui présentait
l'anneau nuptial, elle poussa un cri, car elle reconnut dans son fiancé
Arthur Dupont.
C'était lui, toujours lui. Elle se détourna et laissa tomber l'anneau
nuptial qu'il lui avait mis au doigt.--Vision! dit-elle en dominant son
émotion.
En effet, la figure du mort avait disparu sous celle du vivant.
Laure eut une demi-heure de calme; mais, dans la sacristie, quand, tout
le monde vint la féliciter, elle vit passer dans le premier groupe de ses
amis Arthur Dupont, plus enjoué que jamais.--Ah! dit-elle, c'est une
obsession!
Après la messe, un lunch, avant que les époux prissent le train de
Venise.
Comment se fit-il qu'au milieu des violettes et des rosés-thé, sur un
surtout sculpté et ciselé par un maître anonyme, elle vit la tête d'Arthur
Dupont?
Elle détourna les yeux; une seconde fois elle vit ce visage exsangue, les
yeux ouverts. Il semblait qu'il la regardât avec une désolation railleuse.
Elle ne put s'empêcher de dire à son mari:
--Voyez donc!
Mais elle ne vit plus que des rosés-thé et des violettes.
Le soir, on coucha à Fontainebleau, où déjà les attendaient le valet de
chambre et la femme de chambre.
On avait fait un grand feu dans une chambre à coucher, qui portait le
nom de chambre nuptiale, parce qu'elle a abrité je ne sais combien de
jeunes épousées. Ah! les horribles chambres nuptiales que ces salles
d'auberge que choisissent aujourd'hui les mariés de haut parage, ceux-là
qui ont des hôtels et des châteaux!
Mlle de Montaignac se résigna à la mode, tout en regrettant son
adorable cabinet de toilette, qui eût empêché Eve d'écouter le serpent.
Elle se déshabilla lentement, comme une jeune fille qui fait tomber à
ses pieds, une à une, deux par deux, toutes ses illusions.
Laure avait oublié les visions funèbres quand, tout à coup, elle entendit
marcher derrière elle. La chambre était dans le demi-jour; elle se
retourna.
--Ah! s'écria-t-elle avec terreur.
C'était Arthur, toujours Arthur; il venait, souriant, une fleur d'oranger à
sa boutonnière.
Laure s'était jetée de côté, plus morte que vive; mais le mort souriait
toujours.
Il remua les lèvres, mais il ne parla point.
La mariée, dans l'épouvante, avait mis ses mains sur ses yeux. Quand
elle les rouvrit, elle reconnut que ce n'était plus Arthur. Son mari lui
prit doucement la main et l'appuya sur son coeur. «Ah! j'ai peur, j'ai
peur, dit-elle.»
Les bougies s'éteignirent. La femme de chambre, l'oreille à la porte,
entendit, par intermittences, ces paroles de terreur passionnée: «O mon
ami, aimez-moi toujours, reprenez-moi dans vos bras!»
Mlle de Montaignac ne voulut pas s'appeler Mme Dupont, mais celle de
ses amies qui m'a conté l'histoire m'a dit en riant: «Arthur lui apparaît si
souvent la nuit que son premier enfant sera un
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