le parc, déchiré par toutes les bêtes féroces du désespoir.
Il maudissait cette femme adorée, mais en même temps il s'avouait qu'il ne pourrait pas vivre sans elle.
L'amour est lache. Léonce retourna dans le petit salon, où Angèle feuilletait un roman, calme et souriante comme toujours.
--Angèle, je t'aime! Dis-moi, tu n'as pas voulu me tuer par tes odieuses paroles?
--Mon cher, vous êtes fou! Ne faudrait-il pas toujours chanter la même chanson? Pour Dieu! laissez-moi respirer.
Il lui arracha le livre des mains.
--Le roman n'est pas là, lui dit-il.
Mais elle se leva furieuse et ressaisit les pages à moitié déchirées.
Il n'y avait plus rien à dire. Léonce alla pleurer tout seul dans son cabinet de travail, se demandant si c'en était fait de son rêve et de lui-même.
Il ne revit sa femme qu'au d?ner, où il hasarda ces mots:
--Si vous vous ennuyez ici, Angèle....
--Pas du tout. Si vous vous ennuyez vous-même, vous pouvez retournera Paris pour vos affaires....
--Mes affaires! je n'en ai qu'une, celle de vivre pour vous et avec vous.
--Eh! mon Dieu, nous ne faisons pas autre chose depuis trois mois. Je sens que les feuilles me poussent aux mains et les racines aux pieds.
On ne dit pas un mot de plus.
Dans les grandes phases de la vie, il faut toujours un confident. Léonce n'avait là qui que ce f?t à qui ouvrir son coeur! Le lendemain, il repartit pour Paris, ne sachant d'ailleurs pas bien pour quoi faire, mais fuyant la solitude, cette implacable ennemie de ceux qui souffrent par le coeur. A Paris, il trouva un ami.
--Pourquoi cette paleur, Léonce?
--Ah! si tu savais comme je suis malheureux. Et le jeune marié conta, une à une, toutes ses tortures.
Il ne montra sa blessure ni à sa soeur ni à sa mère.
--Tu es toujours bien heureux, Léonce.
--Oh! oui, bien heureux, ma mère.
V
Il revint le soir.
Il était onze heures; il passa par la petite porte du parc, pour ne pas réveiller les gens; il fut très surpris de voir de la lumière à la fenêtre du petit salon.
Angèle, qui était une dormeuse, n'était donc pas encore couchée?
Il ne fallut à Léonce que quelques secondes pour être devant la fenêtre.
Que vit-il? La dernière page de son-bonheur!
Angèle enveloppait dans sa chevelure dénouée la figure du jeune sous-lieutenant.
Léonce jugea qu'il n'avait qu'une chose à faire: c'était de laisser cet homme et cette femme à leur folie. Il prit le train de minuit, jurant de ne plus jamais revoir ce pays, deux fois cher jusque-là:
VI
Ce fut Angèle qui courut à Paris le lendemain.
Comme son jeu était joué avec le sous-lieutenant, elle apparut toute charmante à la porte du petit appartement de Léonce.
Elle fut effrayée de sa paleur et de sa désolation.
Aussi prit-elle sa voix féline:
--Eh bien! je m'ennuyais, me voilà.
Qui le croira? Vous le croirez. Le mari laissa tomber aux pieds de la femme toutes ses jalousies et toutes ses douleurs.
--Je sais tout, lui dit-il; vous êtes infame, je devrais vous tuer, mais je vous aime: nous partirons ce soir pour l'Italie.
--Oh! l'Italie! c'est mon rêve! Elle embrassa dix fois son mari.
--Si tu savais comment je t'aime!
Il fut terrible:
--Ne dénouez pas vos cheveux, lui dit-il d'une voix qui sifflait.
Et, après un soupir et un silence glacial:
--J'ai une question à vous faire, Angèle, vous y répondrez en toute liberté de conscience.
--Oui, mon Léonce.
--Pourquoi m'avez-vous trahi?
Angèle ne répondit pas.
--C'est par amour naturellement.
--Non.
--Eh bien! pourquoi m'avez-vous trahi?
En toute liberté de conscience, Angèle répondit:
--Par curiosité!
VII
J'avais dit: La femme est la quatrième vertu théologale, mais c'est le huitième péché capital.
Le huitième péché capital, c'est LA CURIOSITé.
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LE STO?CISME D'UNE PARISIENNE OU COMMENT IL FAUT LIRE UN ROMAN
[Illustration: 057.png]
IV
LE STO?CISME D'UNE PARISIENNE OU COMMENT IL FAUT LIRE UN ROMAN
I
Je ne lis pas de romans parce que j'en fais. Ou plut?t je lis sans cesse le roman toujours ouvert qui s'appelle Paris. Voilà le roman des romans, mais encore faut-il savoir le lire. Quelques romanciers en chambre se torturent l'esprit pour inventer des chapitres vraisemblables. Plus d'un dépense beaucoup de talent à faire verser des larmes aux personnages de son imagination, sans se douter qu'en regardant par la fenêtre il verrait des scènes bien plus émouvantes.
Le tout-Paris déborde au Café des Ambassadeurs par les beaux jours, avec le même entrain qu'à la foire de Neuilly. Quand je dis le tout-Paris, pour me servir d'un mot consacré, je devrais dire aussi le tout-Pontoise, car il y a là, comme ailleurs, les acteurs et les spectateurs, ceux qui aiment à entrer en scène et ceux qui aiment à regarder la comédie sans y rien comprendre, ce qui rappelle le mot d'une provinciale au Conservatoire, en pleine symphonie: ?Quand ?a commencera-t-il??
La comédie, il n'est pas de jour qu'on ne la donne au Café des Ambassadeurs: comédie imprévue, comédie bouffonne, mais aussi tragi-comédie. Quand on entre là, on n'est pas bien s?r de n'y trouver une aventure ou
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