ceux-ci frappaient avec de petits batons sur des co-lu-de-sos, instruments assez semblables à nos tambours de basque, et ceux-la attisaient le feu.
Déjà, de ses langues dévorantes, il ronge le b?cher entier, quand une des formes humaines, étendues à son sommet, se lève brusquement en poussant un cri de douleur.
Un moment elle reste debout, ceinte par les flammes comme par une radieuse auréole. Une peau de buffle, dont elle était enveloppée, tombe à ses pieds, et, alors, on découvre que cette peau cachait une femme, jeune, belle, pleine de séductions.
Nulle couverte, nulle tunique de chasse ne dérobe ses merveilleux attraits. A l'exception de la kalaquarté, elle est dans l'état de nature, et l'on se sent saisi d'admiration à l'aspect de tant de charmes réunis sur une même personne.
Cependant, comme ceux qui l'environnent, le sang de la race rouge coule dans ses veines. Mais, ainsi que le captif, elle n'appartient pas à la même tribu, car ses traits nobles et réguliers ne sont pas déformés comme les leurs par ce morceau de bois ou d'os, logé entre la lèvre inférieure et les gencives, qui leur vaut le nom de Grosses-Babines.
Sans la brune couleur de sa carnation et sans la légère saillie de ses pommettes, on la prendrait aisément pour une des suaves créations de l'Albane, tant son buste est délicatement modelé.
Elle a une chevelure abondante, dont les boucles soyeuses, aussi noires que l'ébène, aussi brillantes que les reflets du raisin mur, tombent en grappes pressées sur un col ciselé au tour. Dans le cadre de cette chevelure, ressortent les linéaments d'un visage où la fierté habituelle de l'expression le dispute à une mélancolie passagère. Si les lignes de sa figure manquent jusqu'à un certain point de symétrie; si elles sont un peu dures, il s'échappe de ses grands yeux bruns un rayon de sensibilité qui va droit au coeur.
La richesse de sa taille porte le trouble dans les sens. Elle rappelle les meilleurs modèles de l'antiquité. Une Européenne envierait ses mains menues et longues; leurs attaches sont souples, ainsi que celles de sa jambe, fine, nerveuse, qui annonce l'agilité jointe à la vigueur.
Au cri de souffrance laché par cette superbe créature, répondit un cri d'angoisse.
Il fut proféré par l'Indien lié à l'arbre dont nous avons parlé.
Le malheureux fit une puissante mais vaine tentative pour briser ses entraves.
La femme et lui s'échangèrent un profond regard, regard d'anxiété, de consolation, d'espérance et d'amour, puis, elle se jeta à bas du b?cher.
Alors, elle opéra un mouvement pour voler vers lui. Mais, des mains rudes, lourdes comme le métal, s'abattirent sur ses épaules et la retournèrent brusquement vers le feu.
--Que ma soeur remplisse son devoir comme il convient à l'épouse d'un grand chef, dit un des sauvages en faisant un signe à ses compagnons.
Les voix de ceux-ci montèrent sur un diapason plus aigu.
Ramenée au brasier, qui épanchait déjà une chaleur intolérable, la jeune femme adressa encore un coup d'oeil à son compagnon d'infortunes pour l'engager à la résignation, et, s'armant de courage, elle avan?a ses bras nus à travers les flammes, afin de maintenir, dans une attitude allongée, le corps resté sur les troncs de pins br?lants.
Ce corps était celui d'un homme mort. L'action du feu en contractait les nerfs, qui se recoquillaient et ramassaient les membres en boule.
En grésillant, il dégageait une odeur infecte, laquelle, ajoutée aux torrents de fumée et à l'ardeur de la combustion, faillit suffoquer l'Indienne. Elle fléchit sur ses genoux, chancela et retira vivement ses mains.
Aussit?t le Peau-Rouge, qui se tenait derrière elle, la frappa d'un baton garni d'épines:
--Ma soeur est faible; mais ma soeur honorera jusqu'à la fin son illustre époux, dit-il en ricanant.
La victime de cette brutalité exhala un soupir, qui se perdit dans le sinistre concert que les Grosses-Babines exécutaient autour d'elle.
Cependant, le captif exaspéré redoublait d'efforts pour rompre ses liens. Des hurlements rauques sortaient de sa poitrine. Ses traits altérés, ses veines gonflées, la sueur qui ruisselait sur ses épaules, attestaient la violence de son émotion. Peut-être serait-il parvenu à se délivrer, mais un des assistants lui asséna sur le crane un coup de tomahawk; un flot de sang jaillit; il fut pris d'un frémissement général, qui dura quelques secondes; ses muscles se détendirent, sa tête pencha sur le c?té, et il demeura immobile, comme privé de vie.
Pendant ce temps, la pauvre femme, ranimée par une cruelle fustigation, avait été reconduite au b?cher, où, malgré ses plaintes déchirantes, malgré ses résistances, quatre bourreaux l'obligeaient à poursuivre sa terrible opération. Et pendant ce temps aussi les Grosses-Babines continuaient leur scène infernale. De leurs poitrines bondissaient non plus des chants, mais des beuglements assourdissants; de leurs tambourins frappés à tour de bras, ils tiraient des notes inimaginables, qui retentissaient à plusieurs milles à la ronde; et au milieu de ce hourvari ils se démenaient comme une légion de démons.
C'était
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.