privilèges des nobles et du clergé, et de relever l'inquisition dans toute sa rigueur.
Les décrets pontificaux furent affichés.
Un homme, seul, en plein jour, à la face de tous, osa aller droit à la muraille où était affiché le décret et l'en arracher.
Il se nommait Lescuyer.
Ce n'était point un jeune homme; il n'était donc point emporté par la fougue de l'age. Non, c'était presque un vieillard qui n'était même pas du pays; il était Fran?ais, Picard, ardent et réfléchi à la fois; ancien notaire, établi depuis longtemps à Avignon.
Ce fut un crime dont Avignon romaine se souvint; un crime si grand, que la Vierge en pleura!
Vous le voyez, Avignon, c'est déjà l'Italie. Il lui faut à tout prix des miracles; et, si Dieu n'en fait pas, il se trouve à coup s?r quelqu'un pour en inventer. Encore faut-il que le miracle soit un miracle de la Vierge. La Vierge est tout pour l'Italie, cette terre poétique. La Madonna, tout l'esprit, tout le coeur, toute la langue des Italiens est pleine de ces deux mots.
Ce fut dans l'église des Cordeliers que ce miracle se fit.
La foule y accourut.
C'était beaucoup que la Vierge pleurat; mais un bruit se répandit en même temps qui mit le comble à l’émotion. Un grand coffre bien fermé avait été transporté par la ville: ce coffre avait excité la curiosité des Avignonnais. Que pouvait-il contenir?
Deux heures après, ce n'était plus un coffre dont il était question, c'étaient dix-huit malles que l'on avait vues se rendant au Rh?ne.
Quant aux objets qu'elles contenaient, un portefaix l'avait révélé: c'étaient les effets du mont-de-piété, que le parti fran?ais emportait avec lui en s'exilant d'Avignon.
Les effets du mont-de-piété, c'est-à-dire la dépouille des pauvres.
Plus une ville est misérable, plus le mont-de-piété est riche. Peu de monts-de-piété pouvaient se vanter d'être aussi riches que celui d'Avignon.
Ce n'était plus une affaire d'opinion, c'était un vol et un vol infame. Blancs et rouges coururent à l'église des Cordeliers, criant qu'il fallait que la municipalité leur rend?t compte.
Lescuyer était le secrétaire de la municipalité.
Son nom fut jeté à la foule, non pas comme ayant arraché les deux décrets pontificaux -- dès lors il y e?t eu des défenseurs -- mais comme ayant signé l'ordre au gardien du mont-de-piété de laisser enlever les effets.
On envoya quatre hommes pour prendre Lescuyer et l’amener à l'église. On le trouva dans la rue, se rendant à la municipalité. Les quatre hommes se ruèrent sur lui et le tra?nèrent dans l'église avec des cris féroces.
Arrivé là, au lieu d'être dans la maison du Seigneur, Lescuyer comprit, aux yeux flamboyants qui se fixaient sur lui, aux poings étendus qui le mena?aient, aux cris qui demandaient sa mort, Lescuyer comprit qu'il était dans un de ces cercles de l’enfer oubliés par Dante.
La seule idée qui lui vint fut que cette haine soulevée contre lui avait pour cause la mutilation des affiches pontificales; il monta dans la chaire, comptant s'en faire une tribune, et, de la voix d'un homme qui, non seulement ne se reproche rien, mais qui encore est prêt à recommencer:
-- Mes frères, dit-il, j'ai cru la révolution nécessaire; j'ai, en conséquence, agi de tout mon pouvoir...
Les fanatiques comprirent que si Lescuyer s'expliquait, Lescuyer était sauvé.
Ce n'était point cela qu'il leur fallait. Ils se jetèrent sur lui, l'arrachèrent de la tribune, le poussèrent au milieu de la meute aboyante, qui l’entra?na vers l’autel en poussant cette espèce de cri terrible qui tient du sifflement du serpent et du rugissement du tigre, ce meurtrier zou zou! particulier à la population avignonnaise.
Lescuyer connaissait ce cri fatal; il essaya de se réfugier au pied de l'autel.
Il ne s'y réfugia pas, il y tomba.
Un ouvrier matelassier, armé d'un baton, venait de lui en asséner un si rude coup sur la tête, que le baton s'était brisé en deux morceaux.
Alors on se précipita sur ce pauvre, corps, et, avec ce mélange de férocité et de gaieté particulier aux peuples du Midi, les hommes, en chantant, se mirent à lui danser sur le ventre, tandis que les femmes, afin qu'il expiat les blasphèmes qu'il avait prononcés contre le pape, lui découpaient, disons mieux, lui festonnaient les lèvres avec leurs ciseaux.
Et de tout ce groupe effroyable sortait un cri ou plut?t un rale; ce rale disait:
-- Au nom du ciel! au nom de la Vierge! au nom de l'humanité! tuez-moi tout de suite.
Ce rale fut entendu: d'un commun accord, les assassins s'éloignèrent. On laissa le malheureux, sanglant, défiguré, broyé, savourer son agonie.
Elle dura cinq heures pendant lesquelles, au milieu des éclats de rire, des insultes et des railleries de la foule, ce pauvre corps palpita sur les marches de l’autel.
Voilà comment on tue à Avignon. Attendez; il y a une autre fa?on encore.
Un homme du parti fran?ais eut l'idée d'aller au mont-de-piété et de s'informer.
Tout y était en bon état, il
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