coups chacun. Dans ma ceinture, j'en ai une autre paire de plus petits, de cinq coups chacun. De plus, j'ai mon rifle leger, ce qui me fait en tout vingt-trois coups a tirer en autant de secondes. En outre, je porte dans ma ceinture une longue lame brillante connue sous le nom de _bowie-knife_ (couteau recourbe). Cet instrument est tout a la fois mon couteau de chasse et mon couteau de table, en un mot, mon couteau pour tout faire. Mon equipement se compose d'une gibeciere, d'une poire a poudre en bandouliere, d'une forte gourde et d'un havre-sac pour mes rations. Mais si nous sommes equipes de meme, nous sommes diversement montes. Les uns chevauchent sur des mules, les autres sur des mustangs(1); peu d'entre nous ont emmene leur cheval americain favori. Je suis du nombre de ces derniers.
[Note: (1) _Mustenos,_ chevaux mexicains de race espagnole.]
Je monte un etalon a robe brun fonce, a jambes noires, et dont le museau a la couleur de la fougere fletrie. C'est un demi-sang arabe, admirablement proportionne. Il repond au nom de _Moro,_ nom espagnol qu'il a recu, j'ignore pourquoi, du planteur louisianais de qui je l'ai achete. J'ai retenu ce nom auquel il repond parfaitement. Il est beau, vigoureux et rapide. Plusieurs de mes compagnons se prennent de passion pour lui pendant la route, et m'en offrent des prix considerables. Mais je ne suis pas tente de m'en defaire, mon noble Moro me sert trop bien. De jour en jour je m'attache davantage a lui. Mon chien Alp, un Saint-Bernard que j'ai achete d'un emigrant suisse a Saint-Louis, possede aussi une grande part de mes affections. En me reportant a mon livre de notes, je trouve que nous voyageames pendant plusieurs semaines a travers les prairies, sans aucun incident digne d'interet. Pour moi, l'aspect des choses constituait un interet assez grand; je ne me rappelle pas avoir vu un tableau plus emouvant que celui de notre longue caravane de wagons; ces navires de la prairie, se deroulaient sur la plaine, ou grimpant lentement quelque pente douce, leurs baches blanches se detachant en contraste sur le vert sombre de l'herbe. La nuit, le camp retranche par la ceinture des wagons et les chevaux attaches a des piquets autour formaient un tableau non moins pittoresque. Le paysage, tout nouveau pour moi, m'impressionnait d'une facon toute particuliere. Les cours d'eau etaient marques par de hautes bordures de cotonniers dont les troncs, semblables a des colonnes, supportaient un epais feuillage argente. Ces bordures, par leur rencontre en differents points, semblaient former comme des clotures et divisaient la prairie de telle sorte, que nous paraissions voyager a travers des champs bordes de haies gigantesques. Nous traversames plusieurs rivieres, les unes a gue, les autres, plus larges et plus profondes, en faisant flotter nos wagons. De temps en temps nous apercevions des daims et des antilopes, et nos chasseurs en tuaient quelques-uns; mais nous n'avions pas encore atteint le territoire des buffalos.
Parfois nous faisions une halte d'un jour, pour reparer nos forces, dans quelque vallon boise, garni d'une herbe epaisse et arrose d'une eau pure. De temps a autre, nous etions arretes pour racommoder un timon ou un essieu brise, ou pour degager un wagon embourbe. J'avais peu a m'inquieter, pour ma part, de mes equipages. Mes Missouriens se trouvaient etre d'adroits et vigoureux compagnons qui savaient se tirer d'affaire en s'aidant l'un l'autre, et sans se lamenter a propos de chaque accident, comme si tout eut ete perdu. L'herbe etait haute; nos mules et nos boeufs, au lieu de maigrir, devenaient plus gras de jour en jour. Je pouvais disposer de la meilleure part du mais dont mes wagons etaient pourvus en faveur de Moro, qui se trouvait tres-bien de cette nourriture.
Comme nous approchions de l'Arkansas, nous apercumes des hommes a cheval qui disparaissaient derrieres des collines. C'etaient des Pawnees, et, pendant plusieurs jours, des troupes de ces farouches guerriers roderent sur les flancs de la caravane. Mais ils reconnaissaient notre force, et se tenaient hors de portee de nos longues carabines. Chaque jour m'apportait une nouvelle impression, soit incident de voyage, soit aspect du paysage, Gode, qui avait ete successivement voyageur, chasseur, trappeur et _coureur de bois_, m'avait, dans nos conversations intimes, instruit de plusieurs details relatifs a la vie de la prairie; grace a cela j'etais a meme de faire bonne figure au milieu de mes nouveaux camarades. De son cote, Saint-Vrain, dont le caractere franc et genereux m'avait inspire une vive sympathie, n'epargnait aucun soin pour me rendre le voyage agreable. De telle sorte que les courses du jour et les histoires terribles des veillees de nuit m'eurent bientot inocule la passion de cette nouvelle vie. J'avais gagne la fievre de la prairie. C'est ce que mes compagnons me dirent en riant. Je compris plus
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