une remarquable similitude d'expression qui indiquait sans doute chez eux des occupations et un genre de vie pareils. Etaient-ce des chasseurs? Non. Le chasseur a les mains moins halees et plus chargees de bijoux: son gilet est d'une coupe plus gaie; tout son habillement vise davantage au faste et a la super elegance. De plus, le chasseur n'affecte pas ces airs en dehors et pleins de confiance. Il est trop habitue a la prudence. Quand il est a l'hotel, il s'y tient tranquille et reserve. Le chasseur est un oiseau de proie, et ses habitudes, comme celles de l'oiseau de proie, sont silencieuses et solitaires.
--Quels sont ces messieurs? demandai-je a quelqu'un assis aupres de moi, en lui indiquant ces personnages.
--Les hommes de la prairie.
--Les hommes de la prairie?.
--Oui, les marchands de Santa-Fe.
--Les marchands? repetai-je avec surprise, ne pouvant concilier une elegance pareille avec aucune idee de commerce ou de prairies.
--Oui, continua mon interlocuteur! Ce gros homme de bonne mine qui est au milieu est Bent; Bill-Bent, comme on l'appelle. Le gentleman qui est a sa droite est le jeune Sublette; l'autre assis a sa gauche, est un des Choteaus; celui-ci est le grave Jerry Folger.
--Ce sont donc alors ces celebres marchands de la prairie?
--Precisement.
Je me mis a les considerer avec une curiosite croissante. Ils m'observaient de leur cote, et je m'apercus que j'etais moi-meme l'objet de leur conversation. A ce moment, l'un deux, un elegant et hardi jeune homme, sortit du groupe, et s'avancant vers moi:
--Ne vous etes-vous pas enquis de M. Saint-Vrain? me demanda-t-il.
--Oui monsieur.
--Charles?
--Oui, c'est cela meme.
--C'est moi.
Je tirai ma lettre de recommandation et la lui presentai. Il en prit connaissance.
--Mon cher ami, me dit-il en me tendant cordialement la main, je suis vraiment desole de ne pas m'etre trouve ici. J'arrive de la haute riviere ce matin. Valton est vraiment stupide de n'avoir pas ajoute sur l'adresse le nom de Bill-Bent! Depuis quand etes-vous arrive?
--Depuis trois jours. Je suis arrive le 10.
--Bon Dieu! qu'avez-vous pu faire pendant tout ce temps-la! Venez, que je vous presente. He! Bent! Bill! Jerry!
Un instant apres, j'avais fraternise avec le groupe entier des marchands de la prairie, dont mon nouvel ami Saint-Vrain faisait partie.
--C'est le premier coup? demanda l'un des marchands au moment ou le mugissement d'un gong retentissait dans la galerie.
--Oui, repondit Bent apres avoir consulte sa montre. Nous avons juste le temps de prendre quelque chose: Allons.
Bent se dirigea vers le salon, et nous suivimes tous nemini dissentiente. On etait au milieu du printemps. La jeune menthe avait pousse, circonstance botanique dont mes nouveaux amis semblaient avoir une connaissance parfaite, car tous ils demanderent un julep de menthe. La preparation et l'absorption de ce breuvage nous occuperent jusqu'a ce que le second coup du gong nous convoquat pour le diner.
--Venez prendre place pres de nous, monsieur Haller, dit Bent; je regrette que nous ne vous ayons pas connu plus tot. Vous avez ete bien seul!
Ce disant, il se dirigea vers la salle a manger; nous le suivimes. Pas n'est besoin de donner la description d'un diner a l'hotel des Planteurs. Comme a l'ordinaire, les tranches de venaison, les langues de buffalo, les poulets de la prairie, les excellentes grenouilles du centre de l'Illinois en faisaient le fond. Il est inutile d'entrer dans plus de details sur le repas, et quant a ce qui suivit, je ne saurais en rendre compte. Nous restames assis jusqu'a ce qu'il n'y eut plus que nous a table. La nappe fut alors enlevee, et nous commencames a fumer des regalias et a boire du madere a douze dollars la bouteille! Ce vin etait commande par l'un des convives, non par simple bouteille, mais par demi-douzaines. Je me rappelle parfaitement cela, et je me souviens aussi que la carte des vins et le crayon me furent vivement retires des mains chaque fois que je voulus les prendre. J'ai souvenir d'avoir entendu le recit d'aventures terribles avec les Pawnies, les Comanches, les Pieds-Noirs, et d'y avoir pris un gout si vif que je devins enthousiaste de la vie de la prairie. Un des marchands, me demanda alors si je ne voudrais pas me joindre a eux dans une de leurs tournees; sur quoi je fis tout un discours qui avait pour conclusion l'offre d'accompagner mes nouveaux amis dans leur prochaine expedition. Apres cela, Saint-Vrain declara que j'etais fait pour ce genre de vie, ce qui me flatta infiniment. Puis quelqu'un chanta une chanson espagnole avec accompagnement de guitare, je crois; un autre executa une danse de guerre des Indiens. Enfin nous nous levames tous et entonnames en choeur: _Banniere semee d'etoiles!_ A partir de ce moment, je ne me rappelle plus rien, jusqu'au lendemain matin, ou je me souviens parfaitement que je m'eveillai avec un violent mal de tete.
J'avais a peine eu le temps de reflechir sur
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