Les chansons de Bilitis | Page 5

Pierre Louÿs
avancé d'un pas.
Alors reculant un peu, il se mit à sourire et souffla vers moi dans sa main, disant. ? Re?ois le baiser. ? Et j'ai crié et j'ai pleuré. Tant, que ma mère est accourue.
Inquiète, croyant que j'avais été piquée par un scorpion. Je pleurais: ? Il m'a embrassée. ? Ma mère aussi m'a embrassée et m'a emportée dans ses bras.

8 -- LE RéVEIL
Il fait déjà grand jour. Je devrais être levée. Mais le sommeil du matin est doux et la chaleur du lit me retient blottie. Je veux rester couchée encore.
Tout à l'heure j'irai dans l'étable. Je donnerai aux chèvres de l'herbe et des fleurs, et l'outre d'eau fra?che tirée du puits, où je boirai en même temps qu'elles.
Puis je les attacherai au poteau pour traire leurs douces mamelles tièdes; et si les chevreaux n'en sont pas jaloux, je sucerai avec eux les tettes assouplies.
Amaltheia n'a-t-elle pas nourri Dzeus? J'irai donc. Mais pas encore. Le soleil s'est levé trop t?t et ma mère n'est pas éveillée.

9 -- LA PLUIE
La pluie fine a mouillé toutes choses, très doucement, et en silence. Il pleut encore un peu. Je vais sortir sous les arbres. Pieds nus, pour ne pas tacher mes chaussures.
La pluie au printemps est délicieuse. Les branches chargées de fleurs mouillées ont un parfum qui m'étourdit. On voit briller au soleil la peau délicate des écorces.
Hélas! que de fleurs sur la terre! Ayez pitié des fleurs tombées. Il ne faut pas les balayer et les mêler dans la boue; mais les conserver aux abeilles.
Les scarabées et les limaces traversent le chemin entre les flaques d'eau; je ne veux pas marcher sur eux, ni effrayer ce lézard doré qui s'étire et cligne des paupières.

10 -- LES FLEURS
Nymphes des bois et des fontaines, Amies bienfaisantes, je suis là. Ne vous cachez pas, mais venez m'aider car je suis fort en peine de tant de fleurs cueillies.
Je veux choisir dans toute la forêt une pauvre hamadryade aux bras levés, et dans ses cheveux couleur de feuilles je piquerai ma plus lourde rose.
Voyez: j'en ai tant pris aux champs que je ne pourrai les rapporter si vous ne m'en faites un bouquet. Si vous refusez, prenez garde:
Celle de vous qui a les cheveux orangés je l'ai vue hier saillie comme une bête par le satyre Lamprosathès, et je dénoncerai l'impudique.

11 -- IMPATIENCE
Je me jetai dans ses bras en pleurant, et longtemps elle sentit couler mes larmes chaudes sur son épaule, avant que ma douleur me laissat parler:
? Hélas! je ne suis qu'une enfant; les jeunes hommes ne me regardent pas. Quand aurai-je comme toi des seins de jeune fille qui gonflent la robe et tentent le baiser?
? Nul n'a les yeux curieux si ma tunique glisse; nul ne ramasse une fleur qui tombe de mes cheveux; nul ne dit qu'il me tuera si ma bouche se donne à un autre. ?
Elle m'a répondu tendrement: ? Bilitis, petite vierge, tu cries comme une chatte à la lune et tu t'agites sans raison. Les filles les plus impatientes ne sont pas les plus t?t choisies. ?

12 -- LES COMPARAISONS
Bergeronnette, oiseau de Kypris, chante avec nos premiers désirs! Le corps nouveau des jeunes filles se couvre de fleurs comme la terre. La nuit de tous nos rêves approche et nous en parlons entre nous.
Parfois nous comparons ensemble nos beautés si différentes, nos chevelures déjà longues, nos jeunes seins encore petits, nos pubertés rondes comme des cailles et blotties sous la plume naissante.
Hier je luttai de la sorte contre Melanth? mon a?née. Elle était fière de sa poitrine qui venait de cro?tre en un mois, et, montrant ma tunique droite, elle m'avait appelée: petite enfant.
Pas un homme ne pouvait nous voir, nous nous m?mes nues devant les filles, et, si elle vainquit sur un point, je l'emportait de loin sur les autres. Bergeronnette, oiseau de Kypris, chante avec nos premiers désirs!

13 -- LA RIVIèRE DE LA FORêT
Je me suis baignée seule dans la rivière de la forêt. Sans doute je faisais peur aux na?ades car je les devinais à peine et de très loin, sous l'eau obscure.
Je les ai appelées. Pour leur ressembler tout à fait, j'ai tressé derrière ma nuque des iris noirs comme mes cheveux, avec des grappes de giroflées jaunes.
D'une longue herbe flottante, je me suis fait une ceinture verte, et pour la voir je pressais mes seins en penchant un peu la tête.
Et j'appelais: ? Na?ades! na?ades! jouez avec moi, soyez bonnes. ? Mais les na?ades sont transparentes, et peut-être, sans le savoir, j'ai caressé leurs bras légers.

14 -- PHITTA MELIA?
Dès que le soleil sera moins br?lant nous irons jouer sur les bords du fleuve, nous lutterons pour un crocos frêle et pour une jacinthe mouillée.
Nous ferons le collier de la ronde et la guirlande de la course. Nous nous prendrons par la
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