un chemin creux qui l'éloignait de
l'ours. La conscience de M. Colin-Tampon cessa de lui faire des
reproches, et M. Colin-Tampon poussa un soupir de soulagement.
D'autre part, le grand drôle et son ours avaient fait la paix, et s'en
allaient tranquillement, l'un suivant l'autre, par une avenue qui les
éloignait tous les deux de M. Colin-Tampon et d'Azor. M.
Colin-Tampon poussa un second soupir de soulagement, plus profond
que le premier.
«Azor, mon camarade, dit-il, nous pouvons nous vanter de l'avoir
échappé belle!»
Azor eut l'effronterie de se précipiter en aboyant, dans la direction par
où l'ours opérait sa retraite.
«Pas de fanfaronnades! lui dit son maître, nous savons ce que nous
savons; soyons modestes.»
Ayant alors débouché sa bouteille clissée, il la porta à ses lèvres et lui
donna une longue, longue accolade.
De blême qu'il avait été jusque-là, il redevint frais, rose et souriant.
Quand il se retourna, il aperçut, avec un sentiment de vive allégresse,
deux gendarmes qui venaient vers lui. Il était bien décidément sauvé!
Les gendarmes, voyant un homme bien vêtu et d'apparence honnête,
auraient passé leur chemin sans lui rien dire, si l'inventeur du bouton
inamovible ne se fut empressé de leur souhaiter le bonjour et de leur
déclarer que le temps était beau pour la saison.
Cet empressement parut suspect aux deux «magistrats armés».
Le brigadier lui demanda s'il avait fait bonne chasse. Au souvenir de
ses mésaventures, le chasseur rougit et balbutia.
[Illustration: Le brigadier dressa procès-verbal.]
«Vous avez sans doute un port d'armes?» reprit le brigadier.
M. Colin-Tampon porte vivement la main à sa poche de côté. Il se
souvint tout à coup qu'il avait oublié son port d'armes dans la poche de
sa redingote.
Le brigadier dressa procès-verbal. Le conseiller municipal songea avec
horreur qu'il lui faudrait comparaître en justice, et soudain une goutte
de sueur froide perla à l'extrémité de chacun de ses cheveux.
Azor, croyant que les gendarmes lui reprochaient sa lâcheté, baissait
tristement le nez et serrait sa queue entre ses jambes.
XV
Au numéro 3 de la rue Gantelet, entre un marchand de vin et un épicier,
il y a une boutique de marchand de gibier, bien connue des chasseurs
malheureux. Quand ces messieurs ont été maladroits, ou que réellement
ils n'ont pas vu la queue d'une perdrix ou d'un lièvre, c'est là qu'ils
viennent arrondir leur carnassière pour échapper aux quolibets et aux
compliments ironiques des gamins; car les gamins sont partout les
mêmes, à Courbevoie comme ailleurs.
Mme Grosmajor, la maîtresse de l'établissement, était toujours bien
assortie en gibier; car elle avait une clientèle assurée: chacun sait que la
maladresse du chasseur de la banlieue est passée en proverbe. De plus,
Mme Grosmajor était la discrétion même: ce qui n'est pas très
surprenant, vu que son intérêt bien entendu exigeait qu'elle fût discrète.
Elle avait un talent particulier pour mettre à leur aise les chasseurs
novices qui entraient pour la première fois dans son établissement; d'un
geste bienveillant et d'un sourire maternel, elle leur épargnait la honte
de mentir ou l'embarras de donner des explications.
C'est vers sa demeure hospitalière que l'inventeur du bouton inamovible
dirigea ses pas. Il n'avait nulle intention d'attraper les flâneurs ou d'en
faire accroire à sa femme. Dieu merci! il était la franchise en personne,
et d'ailleurs il avait couru d'assez grosses aventures pour pouvoir rentrer,
sans rougir, le carnier vide. Seulement, sa femme avait compté sur lui
pour le rôti, et il rapporterait un rôti.
«Salut, madame, dit-il à Mme Grosmajor.
--Bien le bonjour, monsieur, lui répondit Mme Grosmajor avec un
sourire avenant.
--Mon Dieu! madame, reprit l'inventeur du bouton inamovible, je vous
avoue franchement que je viens ici pour remplir mon carnier.
--Le gibier est rare, répondit Mme Grosmajor avec un sourire discret;
les braconniers tuent tout. Il n'est pas surprenant...
--Mon Dieu, madame, reprit M. le conseiller municipal en s'avançant
de trois pas et en posant familièrement son coude sur le comptoir, le
fait est que je n'ai rien vu; et à parler franchement, quand même j'aurais
vu quelque chose, je ne suis pas bien sûr que je ne serais pas revenu
bredouille quand même. J'aurais besoin d'un lièvre.
[Illustration: Pendant que Monsieur échangeait quelques propos
affables avec la patronne....]
--Étienne! dit Mme Grosmajor à son garçon, un beau lièvre pour
Monsieur.»
Étienne décrocha un beau lièvre, le montra à Monsieur, qui le trouva à
son goût. Pendant que Monsieur échangeait quelques propos affables
avec la patronne, Étienne, qui était d'humeur facétieuse, glissa dans le
carnier du chasseur un énorme homard tout cuit en place du lièvre.
Monsieur, d'ailleurs, n'était pas volé, car le homard et le lièvre étaient
tout juste du même prix.
XVI
L'inventeur du bouton inamovible, dans l'innocence de son âme,
regagnait d'un pas un peu alourdi sa jolie villa, heureux d'avoir échappé
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