Les amours jaunes | Page 5

Tristan Corbière
FORTUNE et FORTUNE
Odor della feminita
Moi, je fais mon trottoir, quand la nature est belle,?Pour la passante qui, d'un petit air vainqueur,?Voudra bien crocheter, du bout de son ombrelle,?Un clin de ma prunelle ou la peau de mon coeur....
Et je me crois content--pas trop!--mais il faut vivre:?Pour promener un peu sa faim, le gueux s'enivre....
Un beau jour--quel métier!--je faisais, comme ?a,?Ma croisière.--Métier!...--Enfin, Elle passa?--Elle qui?--La Passante! Elle, avec son ombrelle!?Vrai valet de bourreau, je la fr?lai ...---mais Elle
Me regarda tout bas, souriant en dessous,?Et ... me tendit sa main, et ...
m'a donné deux sous.
(Rue des Martyrs.)
A UNE CAMARADE
Que me veux-tu donc, femme trois fois fille?...?Moi qui te croyais un si bon enfant!?--De l'amour?...--Allons: cherche, apporte, pille!?M'aimer aussi, toi!... moi qui t'aimais tant.
Oh! je t'aimais comme ... un lézard qui pèle?Aime le rayon qui cuit son sommeil....?L'Amour entre nous vient battre de l'aile:?--Eh! qu'il s'?te de devant mon soleil!
Mon amour, à moi, n'aime pas qu'on l'aime;?Mendiant, il a peur d'être écouté....?C'est un lazzarone enfin, un bohème,?Déjeunant de je?ne et de liberté.
--Curiosité, bibelot, bricolle?...?C'est possible: il est rare--et c'est son bien--?Mais un bibelot cassé se recolle;?Et lui, décollé, ne vaudra plus rien!...
Va, n'enfon?ons pas la porte entr'ouverte?Sur un paradis déjà trop rendu!?Et gardons à la pomme, jadis verte,?Sa peau, sous son fard de fruit défendu.
Que nous sommes-nous donc fait l'un à l'autre?...?--Rien....--Peut-être alors que c'est pour cela;?--Quel a commencé?--Pas moi, bon ap?tre!?Après, quel dira: c'est donc tout--voilà!
--Tous les deux, sans doute....--Et toi, sois bien s?re Que c'est encor moi le plus attrapé:?Car si, par erreur, ou par aventure,?Tu ne me trompais ... je serais trompé!
Appelons cela: l'amitié calmée;?Puisque l'amour veut mettre son holà.?N'y croyons pas trop, chère mal-aimée....?--C'est toujours trop vrai ces mensonges-là!--
Nous pourrons, au moins, ne pas nous maudire?--Si ?a t'est égal--le quart-d'heure après.?Si nous en mourons--ce sera de rire....?Moi qui l'aimais tant ton rire si frais!
UN JEUNE QUI S'EN VA
Morire.
Oh le printemps!--Je voudrais pa?tre!...?C'est dr?le, est-ce pas: Les mourants?Font toujours ouvrir leur fenêtre,?Jaloux de leur part de printemps!
Oh le printemps! Je veux écrire!?Donne-moi mon bout de crayon?--Mon bout de crayon, c'est ma lyre--?Et--là--je me sens un rayon.
Vite!... j'ai vu, dans mon délire,?Venir me manger dans la main?La Gloire qui voulait me lire!?--La gloire n'attend pas demain.--
Sur ton bras, soutiens ton poète,?Toi, sa Muse, quand il chantait,?Son Sourire quand il mourait,?Et sa Fête ... quand c'était fête!
Sultane, apporte un peu ma pipe?Turque, incrustée en faux saphir,?Celle qui va bien à mon type....?Et ris!--C'est fini de mourir;
Et viens sur mon lit de malade;?Empêche la mort d'y toucher,?D'emporter cet enfant maussade?Qui ne veut pas s'aller coucher.
Ne pleure donc plus,--je suis bête--?Vois: mon drap n'est pas un linceul....?Je chantais cela pour moi seul....?Le vide chante dans ma tête.
Retourne contre la muraille.?--Là--l'esquisse--un portrait de toi--?Malgré lui mon oeil so?l travaille?Sur la toile.... C'était de moi.
J'entends--bourdon de la fièvre--?Un chant de berceau me monter:??J'entends le renard, le lièvre,?Le lièvre, le loup chanter.?
... Va! nous aurons une chambrette?Bien fra?che, à papier bleu rayé;?Avec un vrai bon lit honnête?A nous, à rideaux ... et payé!
Et nous irons dans la prairie?Pêcher à la ligne tous deux,?Ou bien mourir pour la patrie!...?--Tu sais, je fais ce que tu veux.
... Et nous aurons des robes neuves,?Nous serons riches à bailler?Quand j'aurai revu mes épreuves!?--Pour vivre, il faut bien travailler....
--Non! mourir....
La vie était belle?Avec toi! mais rien ne va plus....?A moi le pompon d'immortelle?Des grands poètes que j'ai lus!
A moi, Myosotis! Feuille morte?De Jeune malade à pas lent!?Souvenir de soi ... qu'on emporte?En croyant le laisser--souvent!
--Décès: Rolla:--l'Académie--?Murger, Beaudelaire:--h?pital,--?Lamartine:--en perdant la vie?De sa fille, en strophes pas mal....
Doux bedeau, pleureuse en lévite,?Harmonieux tronc des moissonnés?Inventeur de la larme écrite,?Lacrymatoire d'abonnés!...
Moreau---j'oubliais--Hégésippe,?Créateur de l'art-h?pital....?Depuis, j'ai la phthisie en grippe;?Ce n'est plus même original.
--Escousse encor: mort en extase?De lui; mort phthisique d'orgueil.?--Gilbert: phthisie et paraphrase?Rentrée, en se pleurant à l'oeil.
--Un autre incompris: Lacenaire,?Faisant des vers en amateur?Dans le go?t anti-poitrinaire,?Avec Sanson pour éditeur.
--Lord Byron, gentleman-vampire,?Hystérique du ténébreux;?Anglais sec, cassé par son rire,?Son noble rire de lépreux.
--Hugo: l'Homme apocalyptique,?L'Homme-Ceci-t?ra-cela,?Meurt, gardenational épique;?Il n'en reste qu'un--celui-là!--
... Puis un tas d'amants de la lune,?Guère plus morts qu'ils n'ont vécu,?Et changeant de fosse commune?Sans un discours, sans un écu!
J'en ai lus mourir!... Et ce cygne?Sous le couteau du cuisinier:?--Chénier--... Je me sens--mauvais signe!--?De la jalousie.--O métier!
Métier! Métier de mourir....?Assez, j'ai fini mon étude.?Métier: se rimer finir!...?C'est une affaire d'habitude.
Mais non, la poésie est: vivre,?Paresser encore, et souffrir?Pour toi, ma?tresse! et pour mon livre;?Il est là qui dort
--Non: mourir!

Sentir sur ma lèvre appauvrie?Ton dernier baiser se gercer,?La mort dans tes bras me bercer....?Me déshabiller de la vie!...
(Charenton.--Avril.)
INSOMNIE
Insomnie, impalpable Bête!?N'as-tu d'amour que dans la tête:?Pour venir te pamer à voir,?Sous ton mauvais oeil, l'homme mordre?Ses draps, et dans l'ennui se tordre!...?Sous ton oeil de diamant noir.
Dis: pourquoi, durant la nuit blanche,?Pluvieuse comme un dimanche,?Venir nous lécher comme un chien:?Espérance ou Regret qui veille,?A notre palpitante oreille?Parler bas ... et ne dire rien?
Pourquoi, sur notre
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