Les amours jaunes | Page 3

Tristan Corbière
et quelquefois très
fille;
Capable de tout,--bon à rien;
Gâchant bien le mal, mal
le bien.
Prodigue comme était l'enfant
Du Testament,--sans
testament.
Brave, et souvent, par peur du plat,
Mettant ses deux
pieds dans le plat.
Coloriste enragé,--mais blême;
Incompris ...--surtout de lui-même;

Il pleura, chanta juste faux;
--Et fut un défaut sans défauts.
Ne fut quelqu'un, ni quelque chose
Son naturel était la
pose.
Pas poseur,--posant pour l'unique;
Trop naïf,
étant trop cynique;
Ne croyant à rien, croyant tout.
--Son goût était
dans le dégoût.
Trop crû,--parce qu'il fut trop cuit,
Ressemblant à rien moins qu'à lui,

Il s'amusa de son ennui,
Jusqu'à s'en réveiller la nuit.
Flâneur au
large,--à la dérive,
Épave qui jamais n'arrive....
Trop Soi pour se pouvoir souffrir,
L'esprit à sec et la tête ivre,

Fini, mais ne sachant finir,
Il mourut en s'attendant vivre
Et vécut,
s'attendant mourir.
Ci-gît,--coeur sans coeur, mal planté,
Trop réussi--comme
raté.

LES AMOURS JAUNES

A L'ÉTERNEL MADAME
Mannequin idéal, tête-de-turc du leurre,
Éternel Féminin!... repasse

tes fichus;
Et viens sur mes genoux, quand je marquerai l'heure,
Me
montrer comme on fait chez vous, anges déchus.
Sois pire, et fais pour nous la joie à la malheure,
Piaffe d'un pied
léger dans les sentiers ardus.
Damne-toi, pure idole! et ris! et chante!
et pleure,
Amante! Et meurs d'amour!... à nos moments perdus.
Fille de marbre! en rut! sois folâtre!... et pensive.
Maîtresse, chair de
moi! fais-toi vierge et lascive ... Féroce, sainte, et bête, en me cherchant
un coeur....
Sois femelle de l'homme, et sers de Muse, ô femme,
Quand le poète
brame en Ame, en Lame, en Flamme! Puis--quand il
ronflera--viens baiser ton Vainqueur!
FÉMININ SINGULIER
Éternel Féminin de l'éternel Jocrisse!
Fais-nous sauter, pantins nous
payons les décors!
Nous éclairons la rampe.... Et toi, dans la coulisse,

Tu peux faire au pompier le pur don de ton corps.
Fais claquer sur nos dos le fouet de ton caprice,
Couronne tes
genoux!... et nos têtes dix-cors;
Ris! montre tes dents! mais ... nous
avons la police,
Et quelque chose en nous d'eunuque et de recors.
... Ah tu ne comprends pas?...--Moi non plus--Fais la belle Tourne:
nous sommes soûls! Et plats: Fais la cruelle!
Cravache ton pacha, ton
humble serviteur!...
Après, sache tomber!--mais tomber avec grâce--
Sur notre sable fin
ne laisse pas de trace!...
--C'est le métier de femme et de gladiateur.--
BOHÊME DE CHIC
Ne m'offrez pas un trône!
A moi tout seul je fris,
Drôle, en ma
sauce jaune
De chic et de mépris.

Que les bottes vernies
Pleuvent du paradis,
Avec des parapluies ...

Moi, va-nu-pieds, j'en ris!
--Plate époque râpée,
Où chacun a du bien;
Où, cuistre sans épée,

Le vaurien ne vaut rien!
Papa,--pou, mais honnête,--
M'a laissé quelques sous,
Dont j'ai fait
quelque dette,
Pour me payer des poux!
Son habit, mis en perce,
M'a fait de beaux haillons
Que le soleil
traverse;
Mes trous sont des rayons
Dans mon chapeau, la lune
Brille à travers les trous,
Bête et vierge
comme une
Pièce de cent sous!
--Gentilhomme!... à trois queues:
Mon nom mal ramassé
Se perd à
bien des lieues
Au diable du passé!
Mon blason,--pas bégueule,
Est, comme moi, faquin:
--Nous
bandons à la gueule,
Fond troué d'arlequin
.--
Je pose aux devantures
Où je lis:--DÉFENDU
DE POSER DES
ORDURES--
Roide comme un pendu!
Et me plante sans gêne
Dans le plat du hasard,
Comme un couteau
sans gaine
Dans un plat d'épinard.
Je lève haut la cuisse
Aux bornes que je voi:
Potence, pavé, suisse,

Fille, priape ou roi!
Quand, sans tambour ni flûte.
Un servile estafier
Au violon me
culbute,
Je me sens libre et fier!...
Et je laisse la vie
Pleuvoir sans me mouiller.
En attendant l'envie

De me faire empailler.

--Je dors sous ma calotte,
La calotte des cieux;
Et l'étoile palotte

Clignotte entre mes yeux.
Ma Muse est grise ou blonde ...
Je l'aime et ne sais pas;
Elle est à
tout le monde ...
Mais--moi seul--je la bats!
A moi ma Chair-de-poule!
A toi! Suis-je pas beau,
Quand mon
baiser te roule
A crû dans mon manteau!...
Je ris comme une folle
Et sens mal aux cheveux,
Quand ta chair
fraîche colle
Contre mon cuir lépreux!
Jérusalem.--Octobre.
GENTE DAME
Il n'est plus, ô ma Dame,
D'amour en cape, en lame,
Que Vous!...
De passion sans obstacle,
Mystère à grand spectacle,
Que nous!...
Depuis les Tour de Nesle
Et les Château de Presle,
Temps frais,
Où l'on couchait en Seine
Les galants, pour leur
peine....
--Après.--
Quand vous êtes Frisette,
Il n'est plus de grisette
Que Toi!...
Ni de rapin farouche,
Pur Rembrandt sans retouche,
Que moi!
Qu'il attende, Marquise,
Au grand mur de l'église

Flanqué,
Ton bon coupé vert-sombre,
Comme un bravo dans
l'ombre,
Masqué.
--A nous!--J'arme en croisière
Mon fiacre-corsaire,
Au vent,
Bordant, comme une voile,
Le store qui nous voile:
--Avant!...
--Quartier-dolent--tourelle
Tout au haut de l'échelle....
Quel pas!
--Au sixième--Eh! madame,
C'est tomber, sur mon âme!
Bien bas!
Au grenier poétique,
Où gîte le classique
Printemps,
Viens courre, aventurière,
Ce lapin de gouttière:
Vingt-ans!
Ange, viens pour ton hère
Jouer à la misère
Des Dieux!
Pauvre diable à ficelles,
Lui, joue avec tes ailes.
Aux cieux!
Viens, Béatrix du Dante,
Mets dans ta main charmante
Mon front ...
Ou passe, en bonne fille,
Fière au bras de ton drille,
Le pont.
Demain, ô mâle amante,
Reviens-moi Bradamante!
Muguet!
Eschôlier en fortune,
Narguant, de vers la brune,

Le guet!

I SONNET
AVEC LA MANIÈRE DE S'EN SERVIR
Réglons notre papier et formons bien nos lettres:
Vers filés
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