maisons et à éventer sa trace.
Mayenne n'était pas difficile à reconnaître à ses larges épaules, à sa
taille arrondie et à sa barbe en écuelle, comme dit l'Étoile.
On l'avait donc suivi jusqu'aux portes du Louvre, et, là, les mêmes
compagnons l'attendaient pour le reprendre à sa sortie et l'accompagner
jusqu'aux portes de son hôtel.
En vain Mayneville écartait les plus zélés en leur disant:
-- Pas tant de feu, mes amis, pas tant de feu; vrai Dieu! vous allez nous
compromettre.
Le duc n'en avait pas moins une escorte de deux ou trois cents hommes
lorsqu'il arriva à l'hôtel Saint-Denis où il avait élu domicile.
Ce fut une grande facilité donnée à Ernauton de suivre le duc, sans être
remarqué.
Au moment où le duc rentrait et où il se retournait pour saluer, dans un
des gentilshommes qui saluaient en même temps que lui, il crut
reconnaître le cavalier qui accompagnait ou qu'accompagnait le page
qu'il avait fait entrer par la porte Saint-Antoine, et qui avait montré une
si étrange curiosité à l'endroit du supplice de Salcède.
Presque au même instant, et comme Mayenne venait de disparaître, une
litière fendit la foule. Mayneville alla au devant d'elle: un des rideaux
s'écarta, et, grâce à un rayon de lune, Ernauton crut reconnaître et son
page et la dame de la porte Saint-Antoine.
Mayneville et la dame échangèrent quelques mots, la litière disparut
sous le porche de l'hôtel; Mayneville suivit la litière, et la porte se
referma. Un instant après, Mayneville parut sur le balcon, remercia au
nom du duc les Parisiens, et, comme il se faisait tard, il les invita à
rentrer chez eux, afin que la malveillance ne pût tirer aucun parti de
leur rassemblement.
Tout le monde s'éloigna sur cette invitation, à l'exception de dix
hommes qui étaient entrés à la suite du duc.
Ernauton s'éloigna comme les autres, ou plutôt, tandis que les autres
s'éloignaient, fit semblant de s'éloigner.
Les dix élus qui étaient restés, à l'exclusion de tous autres, étaient les
députés de la Ligue, envoyés à M. de Mayenne pour le remercier d'être
venu, mais en même temps pour le conjurer de décider son frère à
venir.
En effet, ces dignes bourgeois que nous avons déjà entrevus pendant la
soirée aux cuirasses, ces dignes bourgeois, qui ne manquaient pas
d'imagination, avaient combiné, dans leurs réunions préparatoires, une
foule de plans auxquels il ne manquait que la sanction et l'appui d'un
chef sur lequel on pût compter.
Bussy-Leclerc venait annoncer qu'il avait exercé trois couvents au
maniement des armes, et enrégimenté cinq cents bourgeois, c'est-à-dire
mis en disponibilité un effectif de mille hommes.
Lachapelle-Marteau avait pratiqué les magistrats, les clercs et tout le
peuple du palais. Il pouvait offrir à la fois le conseil et l'action;
représenter le conseil par deux cents robes noires, l'action par deux
cents hoquetons.
Brigard avait les marchands de la rue des Lombards, des piliers des
halles et de la rue Saint-Denis.
Crucé partageait les procureurs avec Lachapelle-Marteau, et disposait,
de plus, de l'Université de Paris.
Delbar offrait tous les mariniers et les gens du port, dangereuse espèce
formant un contingent de cinq cents hommes.
Louchard disposait de cinq cents maquignons et marchands de chevaux,
catholiques enragés.
Un potier d'étain qui s'appelait Pollard et un charcutier nommé Gilbert
présentaient quinze cents bouchers et charcutiers de la ville et des
faubourgs.
Maître Nicolas Poulain, l'ami de Chicot, offrait tout et tout le monde.
Quand le duc, bien claquemuré dans une chambre sûre, eut entendu ces
révélations et ces offres:
-- J'admire la force de la Ligue, dit-il, mais le but qu'elle vient sans
doute me proposer, je ne le vois pas.
Maître Lachapelle-Marteau s'apprêta aussitôt à faire un discours en
trois points; il était fort prolixe, la chose était connue; Mayenne
frissonna.
-- Faisons vite, dit-il.
Bussy-Leclerc coupa la parole à Marteau.
-- Voici, dit-il. Nous avons soif d'un changement; nous sommes les plus
forts, et nous voulons en conséquence ce changement: c'est court, clair
et précis.
-- Mais, demanda Mayenne, comment opérerez-vous pour arriver à ce
changement?
-- Il me semble, dit Bussy-Leclerc avec cette franchise de parole qui
chez un homme de si basse condition que lui pouvait passer pour de
l'audace, il me semble que l'idée de l'Union venant de nos chefs, c'était
à nos chefs et non à nous d'indiquer le but.
-- Messieurs, répliqua Mayenne, vous avez parfaitement raison: le but
doit être indiqué par ceux qui ont l'honneur d'être vos chefs; mais c'est
ici le cas de vous répéter que le général doit être le juge du moment de
livrer la bataille, et qu'il a beau voir ses troupes rangées, armées et
animées, il ne donne le signal de la charge que lorsqu'il croit devoir le
faire.
-- Mais enfin, monseigneur, reprit Crucé, la Ligue est pressée, nous
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