ressemblait à la prudence d'un homme qui désire n'être point reconnu, son visage, caché derrière sa large main, risquant seulement un oeil dont le regard per?ant dardait entre le médium et l'annulaire écartés à la distance strictement nécessaire pour le passage du rayon visuel.
A c?té de ce singulier personnage, un petit homme, grimpé sur une butte, causait avec un gros homme qui trébuchait à la pente de cette même butte, et se raccrochait à chaque trébuchement aux boutons du pourpoint de son interlocuteur.
C'étaient les deux autres bourgeois, formant, avec ce personnage assis, le nombre cabalistique trois, que nous avons annoncé dans un des paragraphes précédents.
-- Oui, ma?tre Miton, disait le petit homme au gros; oui, je le dis et je le répète, qu'il y aura cent mille personnes autour de l'échafaud de Salcède, cent mille au moins. Voyez, sans compter ceux qui sont déjà sur la place de Grève, ou qui se rendent à cette place des différents quartiers de Paris, -- voyez, que de gens ici, et ce n'est qu'une porte. -- Jugez donc, puisqu'en comptant bien, nous en trouverions seize, des portes.
-- Cent mille, c'est beaucoup, compère Friard, répondit le gros homme; beaucoup, croyez-moi, suivront mon exemple, et n'iront pas voir écarteler ce malheureux Salcède, dans la crainte d'un hourvari, et ils auront raison.
-- Ma?tre Miton, ma?tre Miton, prenez garde, répondit le petit homme, vous parlez là comme un politique. Il n'y aura rien, absolument rien, je vous en réponds.
Puis, voyant que son interlocuteur secouait la tête d'un air de doute:
-- N'est-ce pas, monsieur? continua-t-il en se retournant vers l'homme aux longs bras et aux longues jambes, qui, au lieu de continuer à regarder du c?té de Vincennes, venait, sans ?ter sa main de dessus son visage, venait, disons-nous, de faire un quart de conversion et de choisir la barrière pour point de mire de son attention.
-- Pla?t-il? demanda celui-ci, comme s'il n'e?t entendu que l'interpellation qui lui était adressée et non les paroles précédant cette interpellation qui avaient été adressées au second bourgeois.
-- Je dis qu'il n'y aura rien en Grève aujourd'hui.
-- Je crois que vous vous trompez, et qu'il y aura l'écartèlement de Salcède, répondit tranquillement l'homme aux longs bras.
-- Oui, sans doute; mais j'ajoute qu'il n'y aura aucun bruit à propos de cet écartèlement.
-- Il y aura le bruit des coups de fouet que l'on donnera aux chevaux.
-- Vous ne m'entendez pas. Par bruit j'entends émeute; or, je dis qu'il n'y aura aucune émeute en Grève: s'il avait d? y avoir émeute, le roi n'aurait pas fait décorer une loge à l'H?tel-de-Ville pour assister au supplice avec les deux reines et une partie de la cour.
-- Est-ce que les rois savent jamais quand il doit y avoir des émeutes? dit en haussant les épaules, avec un air de souveraine pitié, l'homme aux longs bras et aux longues jambes.
-- Oh! oh! fit ma?tre Miton en se penchant à l'oreille de son interlocuteur, voilà un homme qui parle d'un singulier ton: le connaissez- vous, compère?
-- Non, répondit le petit homme.
-- Eh bien, pourquoi lui parlez-vous donc alors?
-- Je lui parle pour lui parler.
-- Et vous avez tort; vous voyez bien qu'il n'est point d'un naturel causeur.
-- Il me semble cependant, reprit le compère Friard assez haut pour être entendu de l'homme aux longs bras, qu'un des grands bonheurs de la vie est d'échanger sa pensée.
-- Avec ceux qu'on conna?t, très bien, répondit ma?tre Miton, mais non avec ceux que l'on ne conna?t pas.
-- Tous les hommes ne sont-ils pas frères? comme dit le curé de Saint-Leu, ajouta le compère Friard d'un ton persuasif.
-- C'est-à-dire qu'ils l'étaient primitivement; mais, dans des temps comme les n?tres, la parenté s'est singulièrement relachée, compère Friard. Causez donc avec moi, si vous tenez absolument à causer, et laissez cet étranger à ses préoccupations.
-- C'est que je vous connais depuis longtemps, vous, comme vous dites, et je sais d'avance ce que vous me répondrez, tandis qu'au contraire peut- être cet inconnu aurait-il quelque chose de nouveau à me dire.
-- Chut! il vous écoute.
-- Tant mieux, s'il nous écoute; peut-être me répondra-t-il. Ainsi donc, monsieur, continua le compère Friard en se tournant vers l'inconnu, vous pensez qu'il y aura du bruit en Grève?
-- Moi, je n'ai pas dit un mot de cela.
-- Je ne prétends pas que vous l'ayez dit, continua Friard d'un ton qu'il essayait de rendre fin; je prétends que vous le pensez, voilà tout.
-- Et sur quoi appuyez-vous cette certitude? seriez-vous sorcier, monsieur Friard?
-- Tiens! il me conna?t! s'écria le bourgeois au comble de l'étonnement, et d'où me conna?t-il?
-- Ne vous ai-je pas nommé deux ou trois fois, compère? dit Miton en haussant les épaules comme un homme honteux devant un étranger du peu d'intelligence de son interlocuteur.
-- Ah! c'est vrai, reprit Friard, faisant un effort pour comprendre, et comprenant, grace
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.